Après l'affaire d'Outreau : La suppression du juge d'instruction est-elle la solution?25/01/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/01/une1956.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Après l'affaire d'Outreau : La suppression du juge d'instruction est-elle la solution?

Ceux qui ont suivi les auditions des ex-accusés du procès d'Outreau, ou vu des extraits de leurs témoignages à la télévision le 18 janvier, ont été bouleversés par le récit de ce que ces personnes ont dû endurer pendant des mois.

Que l'appareil judiciaire se soit comporté d'une manière inhumaine est une évidence. Mais beaucoup de commentateurs en ont déduit que la solution était de remplacer la procédure française et son juge d'instruction chargé "d'instruire à charge et à décharge" par une procédure à l'anglo-saxonne, dans laquelle le procureur accuse, et le ou les avocats de la défense ont le droit d'enquêter de leur côté pour tenter de prouver l'innocence de leur client.

Cela peut sembler logique, car le juge d'instruction de l'affaire d'Outreau a fait la démonstration des pouvoirs quasi absolus dont ce magistrat peut user et abuser dans une telle affaire, sans manifester d'états d'âme, puisqu'il a déclaré dans L'Express que ce serait trop facile de s'excuser, et qu'il avait "rempli sa mission honnêtement". Mais il est trop facile de faire retomber toute la responsabilité de ce que certains ont qualifié de "faillite judiciaire" sur le seul juge d'instruction. Les policiers placés sous ses ordres pour les besoins de cette enquête sous sa responsabilité n'ont pas fait preuve de plus de discernement. Et les magistrats de la chambre de mise en accusation l'ont suivi sans discuter dans son refus d'envisager l'innocence des accusés.

Mais le problème ne se limite pas à la "psycho-rigidité" d'un juge, ni au fait que l'acharnement de celui-ci ait été couvert sans discussion par d'autres magistrats. Car si les accusés avaient été des grands bourgeois, le juge Burgaud n'aurait sans doute pas fait preuve de la même "rigidité", et les autres magistrats s'y seraient de toute manière repris à deux fois avant de confirmer ses décisions.

On nous dit que dans une procédure à l'anglo-saxonne, les avocats auraient eu la possibilité légale de faire procéder à une contre-enquête. Sans doute... mais à condition que leurs clients soient assez fortunés pour en assumer les frais.

Dans un cas comme dans l'autre, malgré l'affirmation selon laquelle "les hommes naissent libres et égaux en droits", la justice ne traite pas de la même manière les grands de ce monde et les petites gens.

Justice à la française ou justice à l'anglo-saxonne, les magistrats ne sont absolument pas indépendants du monde qu'ils fréquentent. Ce monde, et c'est d'autant plus vrai qu'on regarde vers le haut de la pyramide hiérarchique, c'est celui de la bourgeoisie. Magistrats et PDG fréquentent les mêmes cocktails, les mêmes clubs, les mêmes golfs. Ils ont entre eux des liens familiaux, affectifs ou économiques. Et si quelques "petits juges" viennent de temps en temps perturber cette belle entente, c'est l'exception et non la règle.

D'autant que les lois et tout le système judiciaire sont faits pour les bourgeois, pour protéger leur fortune et leur situation. Et qu'au-delà des lois écrites, il y a la morale et le code des valeurs sociales véhiculés par cette société.

Le système judiciaire français fournit certes régulièrement son lot d'erreurs judiciaires, aux dépens, dans l'immense majorité des cas, de petites gens, victimes de magistrats et de policiers qui ont autant de considération pour la "bonne société" qu'ils ont de mépris des gens du peuple. Mais le système anglo-saxon aussi. Et ce n'est pas l'exemple des États-Unis, où on ne compte plus les condamnés à mort reconnus innocents à titre posthume, qui prouvera le contraire.

Dans une société injuste, il ne peut y avoir qu'une justice injuste, dans ses lois, comme dans leur application. Ce n'est pas un problème d'organisation technique de la justice, mais un problème social.

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