Septembre 1915 : la conférence de Zimmerwald « L’ennemi principal est dans notre pays »09/09/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/09/2458.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Septembre 1915 : la conférence de Zimmerwald « L’ennemi principal est dans notre pays »

Du 5 au 8 septembre 1915, dans le petit village suisse de Zimmerwald, une conférence réunit des militants socialistes de divers pays d’Europe restés fidèles à l’internationalisme. La guerre, commencée un an auparavant, était une effroyable boucherie, jetant des millions d’hommes les uns contre les autres. En soutenant la guerre de leurs bourgeoisies respectives, les principaux dirigeants socialistes avaient rompu brutalement leurs relations au niveau international, renié des années d’échanges fraternels et de luttes communes. Ainsi, en septembre 1915, pour la première fois, des militants renouaient les liens internationaux et affirmaient ensemble, par-delà les frontières, leur opposition à l’union sacrée.

Les participants à la conférence de Zimmerwald n’étaient pas nombreux, mais leur geste avait une grande portée symbolique. C’était un premier pas vers la reconstruction d’une internationale. Le militant internationaliste Alfred Rosmer décrivit la conférence comme « un réveil général » qui avait « tiré le mouvement ouvrier de la honteuse torpeur de l’union sacrée, où les social-patriotes l’avaient enlisé et tentaient toujours de le maintenir, […] crevé définitivement le grand mensonge de la guerre, apporté son réconfort à tous ceux qui, en marge du mouvement ouvrier, cherchent la paix et la vérité ».

Un an auparavant, entre la fin juillet et le début août 1914, les principaux dirigeants de l’Internationale socialiste (2e Internationale) et des partis socialistes nationaux avaient trahi tous leurs principes et leurs engagements passés. Au nom d’une « union sacrée » entre les prolétaires, leurs exploiteurs et leurs généraux, ils avaient voté les crédits de guerre, accepté des postes de ministres et n’avaient laissé à des millions d’hommes d’autre solution que d’aller mourir sur les champs de bataille. La plupart des dirigeants anarchistes et syndicalistes ne furent pas en reste, ces derniers mettant toute leur énergie et leur autorité à convaincre les ouvriers d’accepter l’augmentation des cadences, les journées à rallonge, les salaires au rabais, au nom du « devoir patriotique ».

Ce revirement subit était le révélateur de la dégénérescence du mouvement socialiste. Quand la guerre avait mis ses dirigeants au pied du mur, ils avaient préféré capituler pour sauver leurs appareils et leurs postes. Pour la classe ouvrière, et tout particulièrement pour les militants socialistes et syndicaux qui se retrouvèrent isolés, sans directives, face à l’ordre de mobilisation qu’ils recevaient ou aux attaques patronales, cette trahison fut un coup de poignard dans le dos. Mais tous ne sombrèrent pas. Des militants isolés, des courants minoritaires, voire certains partis de la 2e Internationale prirent position contre la guerre.

Ceux qui refusèrent l’union sacrée

En Russie, les députés bolcheviks et mencheviks votèrent contre l’entrée en guerre de leur pays. En Allemagne en août 1914, Karl Liebknecht avait voté avec son parti, par discipline, mais le soir même, il prit position contre la guerre, aux côtés de Rosa Luxemburg, Clara Zetkin, Franz Mehring. En France, les opposants à la guerre furent une poignée autour de Pierre Monatte, Alfred Rosmer et Alphonse Merrheim, de la CGT, Louise Saumoneau et quelques autres, du PS. D’autres figures du socialisme s’élevèrent contre la guerre : John Maclean en Écosse, James Connolly en Irlande, Eugene Debs aux États-Unis, de même que le syndicat américain IWW, les partis socialistes de Serbie, Roumanie, Bulgarie, ou de pays neutres comme la Suisse, la Hollande et les pays scandinaves. En Italie, pays qui n’était entré en guerre qu’en mai 1915, le Parti socialiste avait refusé son soutien à la guerre tout en gardant une position ambiguë ainsi définie : « Ni adhérer, ni saboter ! »

Pour ces militants hostiles à la guerre, l’une des tâches prioritaires était de renouer les liens par-delà les frontières, de faire revivre l’Internationale. Les socialistes de plusieurs pays neutres prirent les premiers l’initiative. Quelques rencontres partielles eurent lieu entre septembre 1914 et avril 1915. Mais la conférence de Zimmerwald, première réunion générale des socialistes internationalistes depuis le début de la guerre, allait marquer les esprits et constituer le premier pas vers la reconstruction d’une internationale.

Le premier pas vers une nouvelle Internationale

Lancée par des socialistes italiens et suisses avec l’objectif d’appeler le prolétariat à une action commune pour la paix, la conférence se déroula en Suisse, qui était alors un pays neutre. Elle réunit 38 délégués, appartenant à onze pays, dont plusieurs pays belligérants. Trotsky raconte qu’ils prirent place, en se serrant, dans quatre voitures, pour rejoindre depuis Berne le village de montagne de Zimmerwald. « Les délégués eux-mêmes plaisantaient, disant qu’un demi-siècle après la fondation de la première Internationale, il était possible de transporter tous les internationalistes dans quatre voitures. Mais il n’y avait aucun scepticisme dans ce badinage. Le fil de l’histoire casse souvent. Il faut un nouveau nœud. C’est ce que nous allions faire à Zimmerwald. »

Les délégués de ­Zimmerwald signèrent à l’unanimité un manifeste qui dénonçait la nature impérialiste de la guerre et l’union sacrée prônée par les dirigeants de la 2e Internationale, qui affirmait la nécessité de lutter pour une paix n’opprimant aucun peuple ni aucune nation, et de reconstituer les liens internationaux entre les travailleurs.

La gauche zimmerwaldienne

La plupart des délégués de Zimmerwald n’étaient pas encore prêts à rompre définitivement avec la social-démocratie et à dépasser le simple pacifisme. Seuls sept d’entre eux se retrouvèrent dans ce que l’on appela « la gauche zimmerwaldienne », sur les positions de Lénine. Celui-ci affirmait qu’une véritable paix, durable et dans le respect des peuples, ne pourrait se faire sans lutte révolutionnaire. Il appelait les socialistes à œuvrer à la défaite de leur propre bourgeoisie et à tenter de « transformer la guerre impérialiste en guerre civile » : au lieu de se faire la guerre entre eux, les travailleurs devaient faire la guerre à leur propre bourgeoisie pour lui arracher le pouvoir.

Bien que dénonçant l’inconséquence et l’insuffisance du manifeste de Zimmerwald, Lénine le signa lui aussi, conscient de l’importance symbolique de cette réaffirmation de l’internationalisme, malgré l’opposition de la quasi-totalité des dirigeants socialistes.

Rentrés dans leurs pays respectifs, les zimmerwaldiens firent tout ce que leurs maigres forces leur permettaient pour faire connaître l’existence de cette conférence et de son manifeste pour la paix et contre l’union sacrée. En France, pour déjouer la censure, Rosmer l’envoya sous forme de courrier banal à tous les abonnés à la Vie Ouvrière, le journal de la CGT.

Six mois plus tard, lors de la conférence de Kienthal, un autre village des alentours de Berne, un nouveau manifeste était signé par 44 délégués internationalistes, de nouveau à l’unanimité, appelant cette fois les socialistes à ne plus signer les crédits de guerre.

Ces deux conférences étaient un encouragement à tous ceux qui voulaient lutter contre la guerre. En même temps, dans tous les pays, une opposition sourde à ­l’effroyable massacre commençait à se faire jour au sein des masses populaires et des soldats mobilisés. Elle allait se généraliser au cours de l’année 1917, se manifester par des mutineries de soldats sur le front, et surtout par l’éclatement de la révolution russe.

La conquête du pouvoir par les travailleurs de Russie, en octobre 1917, allait ébranler sérieusement le pouvoir capitaliste, susciter un espoir parmi les travailleurs de tous les pays engagés dans la guerre, et hâter la fin de celle-ci. La reconstitution d’une véritable internationale, ouvrière, communiste, révolutionnaire et internationaliste, devint alors possible. Le parti bolchevik à la tête de la révolution russe fit tout pour hâter la création de la 3e Internationale, l’Internationale communiste, en mars 1919. Elle appelait les travailleurs de tous les pays à la lutte pour le renversement de ce système capitaliste qui avait enfanté une guerre atroce. Fille de la révolution russe, elle était aussi la fille de Zimmerwald.

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