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- Lutte ouvrière n°2124
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Editorial
Violences sociales : La paille et la poutre
Alors que dans un certain nombre d'entreprises les salariés menacés de licenciement ont retenu quelques heures leur patron, ou des cadres supérieurs de leur société, les réactions des politiciens de droite et de gauche, et de la plupart des commentateurs des médias, se sont réparties en deux catégories.
Il y a les hypocrites, qui trouvent ces réactions « compréhensibles », mais en ajoutant qu'elles étaient illégales, qu'il ne faudrait pas y recourir et plutôt trouver autre chose, comme une grève de la faim par exemple. Et il y a ceux qui se disent partisans de la « fermeté » (mais prudemment, car ils craignent une explosion sociale), comme Sarkozy déclarant : « Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'aller séquestrer les gens ? On est dans un État de droit, je ne laisserai pas faire les choses comme ça », ou comme le président de la CGPME (la confédération des prétendues petites et moyennes entreprises, qui ne sont bien souvent que des filiales des grandes) qui demande aux chefs d'entreprise de ne pas « commencer les négociations avec le pistolet sur la tempe ».
Mais les travailleurs de Caterpillar à Grenoble et à Échirolles qui sont entrés en lutte contre le projet d'un groupe, dont ils ont contribué à faire la richesse, de supprimer plusieurs centaines d'emplois, ceux de 3M à Pithiviers menacés par un plan de licenciements concernant 110 travailleurs, ceux de Sony à Pontonx-sur-Adour, menacés de la fermeture de l'usine, qui ont retenu une nuit le PDG de Sony-France, n'avaient-ils pas eux, vraiment, « le pistolet sur la tempe », bien plus que les dirigeants de leurs entreprises ?
Tous ceux qui parlent de violence, à propos de ces cadres ou de ces patrons retenus quelques heures contre leur gré, font mine de ne pas voir que la vraie violence est celle exercée contre les travailleurs par l'ensemble du patronat, par le gouvernement à son service, pour leur faire supporter les frais d'une crise dont ils ne sont en rien responsables.
Du fait de la soif de profit de la classe capitaliste, dont les spéculations ont été à l'origine de cette crise, l'ensemble du monde du travail a vu son niveau de vie se réduire, des centaines de milliers de travailleurs sont venus grossir les rangs déjà bien trop fournis des chômeurs, tandis que les autres étaient astreints à des normes de « productivité » de plus en plus épuisantes. Ce sont ceux-là les vraies victimes de la violence sociale. Mais pour ceux qui nous gouvernent, comme pour les prétendus spécialistes de l'économie au service des possédants, ce n'est que le fonctionnement normal de l'économie.
Oui, c'est le fonctionnement « normal » de l'économie capitaliste.
Mais c'est justement de ce système dément, où la recherche du profit individuel passe avant toute autre considération, qu'il faudra sortir, pour construire une société, une économie, qui se donnera pour but premier la satisfaction des besoins et l'épanouissement de tous. En un mot, une société socialiste, non pas au sens où l'entendent les actuels grands partis de gauche, pour qui la société idéale est la société capitaliste avec des ministres de leur parti au gouvernement, mais au sens que donnaient à ce mot les militants qui furent à l'origine des partis socialistes et communistes.
Bien sûr, retenir quelques patrons ou quelques cadres ne changera pas la société, ne mettra pas non plus fin à la crise. Mais les salariés qui sont les plus menacés par la politique patronale ont raison de s'y opposer avec les moyens dont ils disposent. Leurs actions ne sont pas seulement « compréhensibles », elles sont légitimes. Absolument légitimes. Et elles méritent la solidarité de l'ensemble du monde du travail.
Arlette LAGUILLER
Éditorial des bulletins d'entreprise du 14 avril