Turquie, mort de Bülent Ecevit : Un «ami des travailleurs» surtout au service de la bourgeoisie17/11/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/11/une1998.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie, mort de Bülent Ecevit : Un «ami des travailleurs» surtout au service de la bourgeoisie

Après sa mort dimanche 5novembre, l'ancien Premier ministre Bülent Ecevit a fait l'objet en Turquie de funérailles nationales, et chacun a célébré la carrière de celui qui pendant longtemps a été présenté comme un «homme de gauche».

Ecevit, né en 1925, était certes un peu différent des autres politiciens de la bourgeoisie turque. Cultivé, poète à ses heures, il s'était lancé en politique dans le cadre du CHP, le Parti Républicain du Peuple fondé par Mustafa Kemal, dont il était devenu secrétaire général en 1966 en incarnant un apparent tournant à gauche de ce parti. Ministre du Travail après le coup d'État militaire de 1960 qui porta au pouvoir de jeunes officiers aux tendances neutralistes, il élabora un certain nombre de lois reconnaissant des droits aux travailleurs, dont le droit de grève accompagné de quelques restrictions.

Ecevit fut ainsi présenté comme l'«ami des travailleurs». La poussée de la gauche lors des élections de 1973 le porta au poste de Premier ministre. Mais ce fut pour former un gouvernement de coalition avec le parti islamiste d'Erbakan et pour mener une politique de surenchère nationaliste. En 1974, c'est le gouvernement dit social-démocrate d'Ecevit qui décida d'envoyer l'armée turque occuper la partie nord de Chypre... où elle est encore aujourd'hui.

La tension politique et sociale des années 1970 déboucha sur le coup d'État militaire du 12 septembre 1980. Pendant des années, la bourgeoisie turque n'eut plus besoin de cet homme qui lui avait été fort utile pour désamorcer et décevoir les aspirations des travailleurs. Cependant, en 1999, après l'usure d'une série de gouvernements pourris par la corruption, Ecevit put apparaître comme le seul homme politique personnellement honnête et pouvant reprendre les rênes du pouvoir. Il redevint Premier ministre.

Cette fois, l'«homme de gauche» fonda un gouvernement de coalition avec le parti d'extrême droite MHP, parti ultra-nationaliste responsable de l'assassinat de centaines de militants ouvriers, de gauche ou d'extrême gauche. En quelques années, marquées par l'inflation accélérée et la crise économique et financière, ce dernier gouvernement Ecevit fut usé jusqu'à la corde. Cela prépara en 2002 le succès électoral du parti «islamiste modéré» AKP de Recep Tayyip Erdogan, aujourd'hui encore Premier ministre.

Ecevit a bien mérité les hommages que lui rendent aujourd'hui la plupart des dirigeants de la bourgeoisie turque. Il a su rendre service à celle-ci chaque fois qu'elle se trouvait dans une mauvaise passe, notamment face aux aspirations des travailleurs. Et ceux-ci n'ont nullement à le pleurer comme s'il avait été vraiment leur «ami».

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