Grèce : Comment le succès de Syriza peut-il déboucher sur une avancée pour les travailleurs ?04/02/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/02/2427.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grèce : Comment le succès de Syriza peut-il déboucher sur une avancée pour les travailleurs ?

La signification du vote de l'électorat populaire grec est sans ambiguïté. C'est un vote contre l'austérité, malgré la pression des principaux bailleurs de fonds de la Grèce représentés par la Troïka - FMI, BCE et Commission européenne - et malgré le chantage de tous ceux qui prédisaient une apocalypse financière en cas de victoire de Syriza.

Par contre, il est beaucoup plus difficile d'appréhender ce qu'il y a derrière ce vote, c'est-à-dire de savoir dans quelle mesure il est le reflet d'une combativité ouvrière. Il peut être l'expression d'un rejet purement électoral des partis ayant mis en oeuvre l'austérité. Il peut tenir du réflexe et de l'illusion électoralistes : pour changer de politique, on essaye de changer l'équipe au pouvoir. Ce vote peut donc relever d'un simple geste électoral, sans que les électeurs qui l'ont fait aient réalisé à quoi il les engage. Mais, même s'il s'agissait d'un geste strictement électoral, il s'est porté sur Syriza et non sur Aube dorée, le parti néo-nazi, ce qui témoigne d'un vote autrement plus conscient.

Mais ce vote de l'électorat populaire peut être aussi le reflet de la volonté de ne pas se laisser faire. Les travailleurs grecs ont d'ailleurs montré ces dernières années une combativité importante, en protestant contre les licenciements, en se mobilisant à des dizaines de milliers lors de journées de grève générale.

De loin, il est difficile de mesurer l'état d'esprit et la combativité des classes populaires en Grèce. Mais c'est bien cette question de la combativité des travailleurs qui est décisive pour l'avenir.

Le bras de fer entre Tsipras et les dirigeants européens

Tous les regards se focalisent sur le bras de fer que le gouvernement Tsipras a engagé avec les institutions internationales de la bourgeoisie. L'enjeu est pour lui de desserrer l'étau financier qui le prive de toute marge de manoeuvre. L'enjeu pour la bourgeoisie internationale, représentée par les diverses institutions que sont le FMI, la Commission européenne et les États européens, c'est que ne soient contestés ni la dette ni surtout le droit de la finance à prélever sous forme d'intérêts sa prébende sur l'État grec, en réalité sur ses classes exploitées. Le paiement de la dette a toujours été une loi d'airain pour la bourgeoisie. Et, dans cette période de crise et de financiarisation de l'économie, la bourgeoisie compte plus que jamais sur cette manne représentée par l'endettement des États.

Mais les deux camps ont une chose en commun, ils redoutent autant l'un que l'autre l'affrontement brutal. Par crainte des réactions populaires qu'il pourrait entraîner, mais dans l'immédiat surtout par crainte des mouvements spéculatifs. Car une nouvelle crise de la dette grecque pourrait provoquer une crise financière européenne et ébranler l'euro.

Les protagonistes de cette épreuve de force préféreraient sans doute trouver un terrain d'entente. Les milieux financiers sont peut-être prêts à renégocier la dette grecque, à condition que soient préservés leurs intérêts sonnants et trébuchants. Ce n'est pas impossible. Tout créancier sait qu'un débiteur vivant rapporte plus qu'un débiteur mort. Encore ne faudrait-il pas sembler céder sous la pression populaire, et encore faudrait-il que tous arrivent à se mettre d'accord. Rien que les différences de ton employé entre Paris et Berlin montrent que ce n'est pas si simple.

Tsipras d'un côté, les hommes politiques à la tête des institutions de la bourgeoisie européenne, de l'autre, ont sans doute intérêt à chercher le compromis, mais rien ne dit qu'ils le trouveront.

Il est vain et inutile de pointer les compromissions auxquelles les ministres de Syriza sont prêts pour prédire ce qu'ils feront ou ce qu'ils ne feront pas. Ce ne sont pas des révolutionnaires et ils ne le cachent pas. Tsipras et tous ses ministres le disent, ils pensent comme tout dirigeant « responsable » de la bourgeoisie. Le tonitruant ministre des Finances grec, Varoufakis, a rassuré : « Le gouvernement grec n'agira pas de façon unilatérale. » Pour ne pas affoler les marchés financiers, les dirigeants grecs jurent, comme les autres, qu'ils ont le souci de l'équilibre budgétaire. Et, à infiniment plus forte raison, ils ont le respect de la propriété privée. Aucun d'eux ne veut défier les lois du capitalisme.

Parier ou non sur la détermination de Tsipras, sur le fait qu'il peut trahir et ne pas aller jusqu'au bout de ses propres engagements, est une perte de temps. On ne peut savoir à l'avance s'il est de l'étoffe d'un Hollande ou de celle d'un Chavez. Et comment l'enchaînement des événements l'amènera-t-il à réagir ? L'avenir le dira. Mais l'essentiel n'est pas là.

L'épreuve de force est entre les travailleurs et la bourgeoisie

Tsipras ne s'est pas seulement engagé à renégocier la dette. Il a annoncé des mesures concrètes pour les travailleurs : l'augmentation du salaire minimum et des petites pensions, la réembauche de milliers de fonctionnaires, entre autres. Si les travailleurs veulent que ces mesures qui les concernent directement soient mises en oeuvre, c'est d'eux que cela dépend.

C'est pourquoi il ne faut pas se focaliser sur le poker menteur qui se déroule dans les bureaux des représentants de la bourgeoisie et faire dépendre le sort des travailleurs grecs de la détermination ou de la force de conviction d'un gouvernement. Ils ont intérêt à s'immiscer dans le bras de fer pour peser eux-mêmes, en gardant leurs propres revendications en ligne de mire.

Même si le gouvernement grec parvient à renégocier la dette, où est par exemple la garantie que l'augmentation du salaire minimum s'appliquera ?

L'annonce de cette augmentation peut d'abord se perdre dans les méandres parlementaires. Et elle peut surtout se perdre face à la résistance de la bourgeoisie grecque. Il ne suffira pas d'un décret gouvernemental pour que le grand patronat grec, habitué à régner en maître et à verser des salaires au noir, respecte ce salaire minimum. Pour la bourgeoisie avide d'un pays pauvre, comme pour ses donneurs d'ordres que sont les capitalistes des pays riches, la question des bas salaires est une question cruciale. Le simple fait d'annoncer cette augmentation ne peut que soulever leur hostilité.

Le gouvernement grec a promis de remplir les caisses de l'État en faisant payer des impôts aux oligarques grecs et à l'Église orthodoxe. C'est un fait que rien de sérieux ne peut se faire en Grèce sans toucher aux immenses fortunes que ces gens-là ont accumulées et que l'Église, premier propriétaire foncier du pays, a accumulées. Et gageons que les popes seront plus sensibles aux velléités de leur faire payer des impôts qu'au refus de Tsipras de prêter serment sur la bible !

Les milieux aisés de Grèce n'ont pas dit leur dernier mot. Il faut noter que Nouvelle démocratie, le parti de droite dans lequel se reconnaît la bourgeoisie, grande, moyenne, si ce n'est la plus petite, a maintenu ses résultats. Et c'est sans compter qu'ils disposent de bien des relais dans l'appareil d'État. Pour mettre des bâtons dans les roues du nouveau gouvernement, ils ne manqueront pas de moyens.

Est-ce pour tenter d'amadouer ces milieux que Tsipras a noué une alliance avec un parti de droite souverainiste ? Ce parti, Les Grecs indépendants, a en effet déjà participé au pouvoir. Son chef de file, ancien ministre dans le gouvernement Caramanlis, s'est chargé en personne de la privatisation d'un terminal du port du Pirée en 2008. Ses liens avec les milieux affairistes sont notoires. Aujourd'hui il est ministre de la Défense. Son programme souverainiste et ses saillies racistes dénonçant « les bouddhistes, les juifs, les immigrés qui ne payent pas d'impôt », quand l'Église orthodoxe « risquait de perdre ses monastères », parlent au milieu le plus réactionnaire, et en particulier à l'armée.

Mais penser que l'on peut amadouer des ennemis de ce genre en en plaçant certains au ministère de la Défense est un leurre. Cela fut le raisonnement d'Allende au Chili en 1970. En plaçant Pinochet à la tête de l'armée, il pensait mettre celle-ci de son côté. Trois ans plus tard, le même Pinochet faisait un coup d'État plongeant le Chili dans une dictature militaire.

La seule garantie pour les travailleurs que les avancées qui leur ont été promises soient mises en oeuvre, réside dans leur capacité de se mobiliser et de s'organiser.

La nécessaire mobilisation des travailleurs

Le danger de la situation serait que la classe ouvrière reste passive face au bras de fer entre Tsipras et les dirigeants européens. Sans intervention des masses, sans pression populaire qui puisse faire plier la bourgeoisie internationale comme les oligarques grecs, ce sont les mesures favorables à la classe ouvrière qui risquent d'être sacrifiées.

La classe ouvrière grecque recèle des trésors de combativité. La population qui se battait hier contre la privatisation de l'eau à Thessalonique, les femmes de ménage du ministère de l'Économie qui se battaient contre leur licenciement, les dizaines de milliers de femmes et d'hommes qui ont répondu « présent » à chacune des journées de grève générale, les militants ouvriers qui se sont battus pied à pied contre les licenciements, seraient autant de points d'appui pour imposer les mesures promises.

Au-delà du bras de fer entre Tsipras et l'Union européenne, la bourgeoisie grecque et internationale se prépare à l'épreuve de force. Pour arracher les avancées qui leur tiennent à coeur, les travailleurs devront se battre. Le résultat dépendra de leur degré de conscience et de leur degré d'organisation.

Selon Tsipras, le gouvernement « est prêt à verser son sang » pour « rétablir la dignité des Grecs ». Mais le peuple grec n'a pas besoin que des ministres se sacrifient pour lui, il a besoin d'une politique qui lui permette d'imposer ses revendications.

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