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Dans le monde
Crise financière : Spéculer sur une dette
Toute reconnaissance de dette, ou traite, ou papier financier en général, porte sur une valeur, la valeur nominale, et une date d'échéance, la date à laquelle cette dette doit être honorée. Elle peut servir de moyen d'échange, le créancier pouvant la vendre à une banque, ou s'en servir pour un paiement. Le prix obtenu pour cette traite est sa « valeur actuelle », égale à la valeur nominale diminuée de l'« escompte », somme représentant le « risque » que prend l'acheteur d'une valeur qui ne se réalisera que dans le futur. L'opération pouvant être répétée plusieurs fois, la traite circulera donc, jusqu'à sa date d'échéance, comme de la monnaie.
Mais la « valeur actuelle » est variable. Elle dépend de la valeur nominale, de la durée jusqu'à la date d'échéance, de la variation possible du taux d'intérêt durant cette période et de la confiance qu'on peut faire au débiteur. Car si ce dernier fait faillite ou disparaît avant la date d'échéance, adieu, veau, vache... Ainsi par exemple, le papier allemand se vend mieux en ce moment que le papier grec, même si les deux sont libellés en euros, car l'Allemagne est supposée plus fiable que la Grèce.
Une traite, comme toute valeur variable, peut faire l'objet d'une spéculation, c'est-à-dire d'un achat dans le seul but de revente, en l'occurrence sans attendre l'échéance de la traite.
Si on estime que, pour une raison ou une autre, le prix de cette traite va monter, il faut acheter, attendre, puis revendre pour réaliser son bénéfice.
Si on estime au contraire que son prix va baisser, il faut vendre d'abord et acheter ensuite, lorsque le prix aura baissé. Ce qui est tout à fait possible dans le monde de la finance, puisqu'on peut vendre comptant une promesse de vente. Le jour où cette nouvelle promesse arrive à échéance, on achète sur le marché les traites que l'on va revendre immédiatement au client. Si le prix du papier négocié a effectivement diminué entre le jour de la promesse et celui de la vente, on a gagné. Sinon c'est l'acheteur qui a gagné.
Grâce à l'informatique, aux mathématiques, à la déréglementation des marchés financier et surtout au parasitisme galopant du capitalisme, ce système peut se dupliquer à l'infini. On peut inventer des assurances sur les dettes, les CDS (Credit Default Swap, ce qui pourrait se traduire par « échange sur un crédit défaillant »), elles-mêmes sujettes à variation et donc objets de spéculation. On peut aussi mélanger les titres en espérant obtenir un équilibre entre ceux qui subissent des variations contradictoires, faire des paris sur le sens et l'ampleur de toutes les variations possibles. Jusqu'à obtenir des produits financiers dont le mode d'emploi comporte des milliers de pages, issus des cerveaux fertiles et bien mal employés de mathématiciens en quête de gros salaires. Encore plus que la spéculation sur les dettes de la Grèce, c'est la spéculation sur les titres dérivés de cette dette qui s'est emballée. Elle a entraîné une baisse de l'euro, laquelle a initié une spéculation à la baisse sur la monnaie européenne, faisant craindre un effondrement de cette dernière.
Les spéculateurs, c'est-à-dire en fait les grandes entreprises financières, savent qu'ils construisent un château de cartes qui finira par s'écrouler. Mais chacun est persuadé qu'il posera l'avant-dernière carte.
Et si le château en s'effondrant emporte tout le système financier, les États seront là pour faire payer les pots cassés aux travailleurs. Car les richesses que se disputent les parasites de la Bourse et leurs commanditaires ne sont pas créées par leurs spéculations. Elles sont forcément, en définitive, le produit du travail humain.