- Accueil
- Lutte ouvrière n°2383
- Les limites sociales et l'impasse de la manifestation du 12 avril
Leur société
Les limites sociales et l'impasse de la manifestation du 12 avril
Lutte Ouvrière n'avait pas appelé à la manifestation du 5 mai, présentée comme une manifestation pour une Sixième république, n'ayant aucune envie de cautionner une opération qui consistait à canaliser le mécontentement des classes populaires vers l'objectif dérisoire d'un simple changement de numéro, même assorti d'un éventuel bricolage constitutionnel.
Nous avions, en revanche, appelé à celle du 1er décembre tout en n'en partageant pas tous les objectifs. Parmi ces objectifs, il y avait cependant au moins la dénonciation des licenciements et du chômage et l'opposition à la hausse de la TVA au 1er janvier 2014 projetée par le gouvernement.
L'appel à la manifestation du 12 avril affirme, dans sa première phrase : « Nous n'en pouvons plus de voir la droite et l'extrême droite battre le pavé avec leurs cortèges de haine de l'autre, d'intolérance, de racisme, de sexisme, d'homophobie et d'intégrisme ».
Nous partageons le constat et aussi la volonté de nous opposer à cette situation. Encore faut-il savoir au nom de quoi et pour quoi faire !
Ceux qui appellent à cette manifestation se placent très clairement dans le camp des déçus du « hollandisme ». Ils critiquent différents aspects de la politique de Hollande pour affirmer que « ce n'est décidément pas cela que nous voulions, nous qui par millions avons contribué à chasser Sarkozy ». Passons sur ce qu'il y a de dérisoire dans le fait de se vanter d'avoir « contribué à chasser Sarkozy », à la lumière des résultats des municipales. Non seulement la droite « chassée » revient triomphante, après deux ans de gouvernement socialiste, mais elle revient flanquée d'une extrême droite renforcée.
Mais cette présentation des choses est une façon bien atténuée, et pour tout dire bien hypocrite, de dégager la responsabilité de tous ces courants politiques, du PCF au Parti de gauche en passant par une nuée de petites formations qui ont appelé à voter pour Hollande. Ils n'ont pas seulement « contribué à chasser Sarkozy », ils ont cautionné Hollande, sa promesse « Le changement, c'est maintenant » et contribué à le faire élire !
On pourrait se dire que le passé est le passé et mieux vaut tard que jamais avoir compris le caractère néfaste de la politique du PS au pouvoir. Mais quelle confiance accorder à des dirigeants politiques qui ont si courte vue qu'ils ont eu besoin d'attendre le tout récent « pacte de responsabilité » pour comprendre ce qu'ont compris depuis longtemps des millions de travailleurs, de chômeurs, de retraités qui subissent les conséquences des mesures gouvernementales prises pour plaire au grand patronat et aux banquiers ?
Mais y a-t-il dans cet appel à manifester au moins des objectifs qui puissent concerner un tant soit peu les travailleurs ? Qui puissent refléter, même partiellement, même de façon atténuée, leurs intérêts de classe ?
Les organisateurs de la manifestation répondent : « Nous voulons construire une dynamique rassembleuse pour des alternatives politiques et démocratiques, économiques, sociales et écologiques », en ajoutant qu'ils appellent à « une marche nationale d'espoir à gauche, contre l'extrême droite, pour l'abandon du pacte de responsabilité, pour une juste distribution des richesses », et concluent par une phrase qui se veut menaçante : « Cette marche ne restera pas sans lendemain ». Il y a de quoi faire trembler Hollande !
Lutte Ouvrière n'a pas l'intention de s'associer à cet appel. Il ne reflète aucun des intérêts et des exigences du monde du travail qui subit les attaques incessantes du grand patronat et d'un gouvernement dévoué corps et âme à ce dernier.
Il est difficile de voir dans cette manifestation autre chose qu'un geste en vue des élections européennes lors desquelles le Parti communiste et le Parti de gauche, rabibochés après leurs désaccords des municipales, voudraient élargir leur audience.
La seule perspective qu'ouvre cette manifestation, c'est au mieux une variante un peu plus à gauche du remaniement gouvernemental auquel Hollande vient de procéder.
Le glissement vers la droite, dont les élections municipales constituent une expression, reflète une dégradation des rapports de force en faveur des courants les plus réactionnaires qui sont en même temps les plus antiouvriers. Mais ce ne sont pas les chevaux de retour du réformisme, même peinturlurés pour que le rose apparaisse moins délavé, qui arrêteront cette évolution des choses.
Seule une reprise de confiance de la classe ouvrière en elle-même, en sa force, en ses propres valeurs, est susceptible de s'opposer à la montée des forces réactionnaires. Mais pour cela, il faut qu'elle retrouve les idées et les pratiques de la lutte de classe qui ne font manifestement pas partie de l'horizon politique des auteurs de cet appel à manifester. Rien dans les objectifs affichés de cette manifestation qui permette de franchir un seul pas dans ce sens.
Les organisateurs veulent, disent-ils, redonner « espoir à gauche ».
Hollande et le PS au gouvernement sont la meilleure illustration que la gauche, ce n'est pas la classe ouvrière, même si depuis bien des années, sinon des décennies, tous les réformistes s'efforcent de rendre les deux mots équivalents.
Quant à la classe ouvrière, ce n'est pas d'« espoir » dont elle a besoin. De Mitterrand à Hollande en passant par Jospin, chaque fois que la gauche a accédé au pouvoir gouvernemental, l'espoir factice s'est transformé en désespoir. L'intérêt de la classe ouvrière n'est certainement pas de fabriquer de nouvelles illusions au moment où les précédentes se dissipent. Il n'est pas de redonner du crédit à de nouveaux « sauveurs suprêmes » qui, comme les précédents, font de leur arrivée au gouvernement de la bourgeoisie la seule perspective pour la classe ouvrière.
Ce dont la classe ouvrière a besoin, ce n'est pas d'illusions, déguisées par le mot « espoir », mais de retrouver sa combativité, sa conscience et surtout le chemin de la lutte de classe.