La Nouvelle-Orléans : Le cyclone est naturel, la catastrophe est sociale08/09/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/09/une1936.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

La Nouvelle-Orléans : Le cyclone est naturel, la catastrophe est sociale

Des milliers de morts, plus de 10000 peut-être! Le spectacle de désolation qu'offrent La Nouvelle-Orléans et sa région, dévastées par le cyclone, noyées sous les inondations, est bouleversant. Mais il y a de quoi être choqué aussi, révolté, devant la situation tragique de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants laissés pendant plusieurs jours sans eau et sans nourriture, de ces malades ou de ces vieux qui meurent sans soins.

La Nouvelle-Orléans, victime du cyclone, un phénomène naturel? Oui, sans doute. Le cyclone a été un des plus violents dans la région depuis longtemps. Mais tous ceux qui sont morts ne sont pas seulement morts d'une catastrophe naturelle, mais aussi de l'incapacité du pays le plus riche du monde à y faire face.

Et d'abord, de prévoir et de prévenir. La ville, située dans une zone où les cyclones sont fréquents, se situe plusieurs mètres en dessous du niveau de la mer. Elle est entourée de digues, mais ces digues trop anciennes n'étaient même pas convenablement entretenues. Au fil des informations qui filtrent, on apprend que l'administration gouvernementale avait récemment refusé les crédits nécessaires à la réfection des digues et que les rapports successifs pour annoncer la catastrophe qu'un cyclone pouvait entraîner ont été enterrés sans suite.

Lorsque le cyclone allait frapper, les autorités ont certes donné l'ordre d'évacuer la ville. Mais l'ordre seulement, pas les moyens. Comment les plus pauvres, ceux qui n'avaient ni voiture pour partir, ni argent pour subvenir ailleurs à leurs besoins, auraient-ils pu quitter la ville? Ce sont les plus pauvres de la ville, pour une large majorité des Noirs, qui ont été les victimes directes ou indirectes de l'inondation. Ce sont eux qui se sont retrouvés dans des centres de regroupement de fortune, un stade couvert, un centre de conférences, entassés les uns sur les autres, avec des malades, des mourants et des morts, dans la promiscuité, au milieu des excréments, sans approvisionnement, et sans que, pendant plusieurs jours, les dirigeants se préoccupent de leur sort.

Tous les témoins ont souligné la lenteur des secours et l'incapacité de l'État le plus puissant du monde à évacuer les victimes survivantes. Les États-Unis, qui ont déployé des merveilles de technologie pour bombarder l'Irak, pour y déplacer leurs troupes, se sont montrés en dessous de tout pour sauver leurs citoyens les plus pauvres. Pendant plusieurs jours, seuls patrouillaient les gardes nationaux, plus soucieux de tirer sur les pillards -des voyous parfois, mais souvent aussi des gens qui essayaient seulement de se nourrir ou de récupérer quelques bouteilles d'eau potable- que de venir au secours de la population.

Plusieurs catastrophes naturelles ont montré au cours de l'année, le tsunami de l'Asie du Sud-Est en particulier, à quel point les États des pays du Tiers-Monde étaient désarmés face à ces catastrophes. Mais le cyclone Katrina a montré que le TiersMonde se trouve, aussi, à l'intérieur des États-Unis. Et les pauvres de là-bas ont beau vivre dans le pays le plus riche, ils sont aussi abandonnés à eux-mêmes, aussi méprisés par leurs dirigeants, que le sont ceux des pays pauvres.

Le cyclone a été un phénomène naturel. Mais il a été aussi le révélateur des inégalités qui rongent la société et de son incapacité à réagir collectivement face à un désastre.

Les États-Unis sont l'incarnation même du système capitaliste. Ils possèdent, aussi, le plus de moyens. Ce système, si performant pour permettre à une minorité d'amasser de l'argent, vient de montrer, à La Nouvelle-Orléans, à quel point il est incapable d'organiser une action solidaire de la collectivité humaine face aux aléas de la nature.

Mais cette tragique démonstration ne vaut pas que pour les États-Unis. Même si on est à l'abri des cyclones ou des tornades, nulle part on n'est à l'abri du danger permanent que représente un système social où le profit individuel est roi, mais où les intérêts de la collectivité ne comptent pas.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 5 septembre 2005

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