Istanbul ou Constantinople ? Non, l’Élysée !29/09/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/10/une1887.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Istanbul ou Constantinople ? Non, l’Élysée !

C'est l'excitation, dans les milieux politiques français, de droite comme de gauche, sur l'entrée ou non de la Turquie dans l'Union européenne (UE). Tout juste si certains ne prédisent pas une nouvelle invasion de l'Europe chrétienne par les hordes ottomanes, pourtant repoussées devant Vienne en 1683! Il ne s'agit pourtant que de savoir si, le 6 octobre prochain, la Commission européenne devrait ou pas formuler «une recommandation sur l'opportunité d'ouvrir ou non des négociations d'adhésion», sur laquelle les chefs d'État et de gouvernement se prononceraient le 17 décembre. La question n'est nullement de trancher, mais seulement de discuter combien de temps encore l'UE va lanterner les dirigeants turcs qui, voilà 45 ans déjà, ont dit qu'ils aimeraient adhérer!

La montée au créneau des politiciens français est doublement hypocrite.

Politiquement et économiquement, la Turquie est depuis quelques décennies déjà annexée au «monde occidental». Les grands États européens, liés aux États-Unis dans l'OTAN, en ont fait un avant-poste militaire, face à l'ex-URSS et au Moyen-Orient. Les grands trusts européens et y ont largement investi. Ils y ont surtout largement puisé la main-d'oeuvre pour leurs chantiers et usines. C'est une évidence que des millions de travailleurs turcs (venus pour beaucoup de régions du Kurdistan) ont sué de la plus-value pour Volkswagen, Daimler-Benz et Opel mais aussi pour Peugeot, Renault et Bouygues. C'est une évidence qu'ils ont largement contribué à la richesse du continent, à coup sûr davantage que ses rentiers oisifs. Là où des travailleurs turcs et leurs familles vivent et travaillent, en particulier en Allemagne, Hollande, Belgique, Autriche ou France, souvent depuis deux ou trois générations, ils méritent largement les mêmes «droits», dont le droit de vote, que les autres citoyens. Mais les vieux États de l'Europe s'assoient sur les principes qu'ils prêchent. Et à propos de la Turquie, les arguments qui sont servis sont aussi tartufes que débiles.

Attention, le régime turc est une dictature! Certes. Son chef vient de jurer que l'usage de la torture n'y était «pas systématique» (mais largement pratiquée dans ses prisons, contre des militants ouvriers ou nationalistes kurdes). Il vient in extremis de renoncer à condamner les femmes pour adultère (mais pas les jeunes pour relations sexuelles à moins de 18 ans). Il ne fait pas bon être opposant politique dans ce pays. Mais les socialistes français se rappellent-ils la torture dans les commissariats de Guy Mollet ou Mitterrand, pendant la guerre d'Algérie? Plus récemment les exactions de l'armée française, aux côtés de dictateurs africains? Fabius, qui demande que le régime turc reconnaisse le génocide arménien presque centenaire, a-t-il exigé de son parti la reconnaissance des massacres, voire génocide au Rwanda, sous des gouvernements ou présidences socialistes?

Attention, le chef du gouvernement turc, Recep Tayyip Erdogan, est un ex-fondamentaliste musulman! Certes, même rebaptisé «modéré», c'est un réactionnaire en costume d'eurocrate. Mais il y en a une brochette d'autres. Et les «valeurs de la famille» dont il se targue, sont les mêmes que celles du fondamentaliste chrétien de Villiers. Au nom d'Allah ou de Jésus, les deux prônent aux femmes la même soumission aux hommes, aux travailleurs la même soumission aux exploiteurs.

Attention, l'ouverture formelle d'un pays de plus 70 millions d'habitants au marché européen, coûterait cher! Certes. Mais la note sera malheureusement d'abord à payer par les travailleurs et paysans turcs, que l'État ponctionnera davantage pour satisfaire les critères de l'Europe des trusts. Et qui se verront interdits de libre circulation en Europe pour belle lurette encore!

Quelle mouche les pique donc tous ou presque, de dramatiser l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'UE?

Chirac a voulu un référendum sur la constitution européenne pour obtenir un «oui»à sa personne et sa politique. Bonne affaire, pour tenter de détourner des préoccupations essentielles! Bonne aubaine, meilleure que sa politique sociale, pour se faire plébisciter!

Mais dans la droite classique comme au PS, fleurissent tout à coup les politiciens tentés par un «non». Ils n'ont que faire de l'Europe, et surtout de sa population ou de ses peuples, mais des fois que le «non» les mettent en meilleure position pour la course à l'Élysée, en 2007... La Turquie vient simplement à point nommé pour servir d'alibi à se poser en rival de Chirac.

Rien d'étonnant, donc, si Fabius est réticent sur la Turquie. Si Bayrou a des doutes. Si Raffarin voit déjà le «fleuve de l'Islam» coulant dans «nos lits». Si Sarkozy surtout, estimant la question capitale, va jusqu'à proposer un autre référendum, spécifique, sur l'élargissement de l'Europe à la Turquie. Référendum contre référendum! Ce capharnaüm serait plaisant, si tout ce beau monde ne spéculait sur le racisme et la xénophobie de l'électorat, voire sur la crainte irrationnelle que des délocalisations découleraient immanquablement de tout élargissement. Et si tout ce beau monde n'encourageait pas, ainsi, des préjugés funestes.

Il serait temps que les travailleurs renvoient au placard ces fadaises, oublient les référendums bidons qui n'auront peut-être même pas lieu, et fassent l'actualité avec leurs propres revendications, qui sont celles des travailleurs de toute l'Europe, Turquie comprise.

Partager