Rwanda : Les mensonges de l'État français ont la vie longue09/04/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/04/une2384.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Rwanda : Les mensonges de l'État français ont la vie longue

Le président rwandais Paul Kagamé ayant rappelé les responsabilités de la France dans l'extermination de 800 000 personnes au Rwanda en 1994, François Hollande a décidé d'annuler la participation de la ministre de la Justice, Christiane Taubira, aux cérémonies de commémoration. En réponse, le président Kagamé a refusé à l'ambassadeur de France le droit de déposer une gerbe aux victimes des massacres. Les propos du président rwandais ont alors suscité une salve d'invectives venant de tous les horizons politiques, la droite et la gauche gouvernementale se retrouvant unies pour demander à François Hollande de « défendre l'honneur de la France », selon les propos d'Alain Juppé.

En jouant l'indignation, Hollande essaie de nier les faits les plus évidents. Bien avant le génocide de 1994, la France a soutenu le régime qui le préparait. En 1990, lorsque les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais (FPR) menacèrent de s'emparer du pouvoir, c'est l'armée française qui les arrêta avec ses alliés belges et zaïrois. Le Parti socialiste était alors au pouvoir, François Mitterrand président de la République et Michel Rocard Premier ministre. Ils défendaient les intérêts de l'impérialisme français, soucieux d'étendre sa zone d'influence en Afrique centrale.

Dans les années qui suivirent, les notables et les chefs militaires rwandais constituèrent avec la complicité de la France de véritables escadrons de la mort pour faire la chasse aux Tutsis et assassiner les opposants. Les officiels français présents sur place fermèrent les yeux et fournirent des armes aux tueurs. Quand l'assassinat du président Habyarimana donna le signal du massacre généralisé des Tutsis et des opposants hutus, le 6 avril 1994, les quelques troupes françaises envoyées sous prétexte de protéger les Européens assistèrent sans rien faire à la tuerie. C'est seulement lorsque le FPR sembla prendre l'avantage que Paris intervint vraiment militairement, avec l'opération Turquoise, non pour sauver la population de la fureur des génocidaires mais pour offrir à ceux-ci une zone de repli. François Mitterrand était toujours président, mais Michel Rocard avait cédé sa place à un gouvernement de droite mené par Édouard Balladur.

Le président rwandais actuel, Paul Kagamé, ne fait donc qu'énoncer une vérité lorsqu'il rappelle, dans l'interview qui a déclenché la réaction du gouvernement français, « le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même ».

En vingt ans, l'équipe gouvernementale française a été renouvelée, mais dans la continuité. L'actuel ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve avait été, en 1998, rapporteur d'une mission d'information parlementaire sur le Rwanda qui n'avait retenu, en guise de responsabilité de la France, que des « erreurs d'appréciation » et des « dysfonctionnements institutionnels ». Le rapport en question contenait pourtant des témoignages accablants, comme celui du responsable sur place de Médecins sans frontières de l'époque, Jean-Hervé Bradol, qui réaffirme aujourd'hui, dans un article du journal Le Monde, « les responsabilités écrasantes de la France, qui a financé, entraîné et armé l'armée rwandaise ».

C'est cette même continuité qui a présidé à la décision du gouvernement Valls-Hollande de ne pas envoyer de représentant à la cérémonie commémorative. En niant les faits encore aujourd'hui, le gouvernement socialiste se retrouve aux côtés d'Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères lors du génocide, qui juge « inacceptable la mise en cause de la France par le président du Rwanda ». De Juppé, Balladur, Mitterrand et Rocard à l'équipe actuelle, on assume même les pires atrocités.

Et le passé peut ressurgir dans un autre pays d'Afrique, que l'impérialisme considère comme son pré carré. « Des officiers français se revoient au milieu des monceaux de cadavres, en 1994 », peut écrire une journaliste du Monde enquêtant sur l'opération militaire française en Centrafrique.

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