Neuwirth et la loi sur la contraception28/11/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/11/une2365.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Neuwirth et la loi sur la contraception

Le 26 novembre est mort Lucien Neuwirth, député gaulliste qui s'était, selon ses propres mots, « battu comme un chien » pour faire voter, le 19 décembre 1967, la loi « relative à la régulation des naissances » à laquelle son nom reste attaché. Elle était une première reconnaissance du droit à la contraception.

Auparavant, la sexualité des femmes était soumise, en France, à la loi répressive de 1920 qui, votée au lendemain de la guerre par une assemblée d'hommes natalistes, punissait « la provocation à l'avortement et la propagande anticonceptionnelle ». À l'abri de cette loi, une morale réactionnaire contraignait les femmes à vivre dans l'angoisse d'une grossesse non désirée et à mettre en jeu leur santé, voire leur vie, pour pouvoir y mettre un terme clandestinement.

La loi Neuwirth était bien mesurée puisqu'elle soumettait la contraception des mineures (moins de 21 ans à l'époque) à l'autorisation des parents, en réservait la publicité aux revues médicales, ne prévoyait pas le remboursement de la pilule et imposait aux pharmaciens l'usage d'un carnet à souches pour sa délivrance, à l'égal de la morphine. Elle n'en souleva pas moins contre son auteur un déferlement d'invectives. Élu habitant Saint-Etienne, il essuya injures et menaces ; sa femme fut insultée dans la rue, sa fille de 13 ans, supposée « en savoir trop », fut instamment priée de quitter son école catholique. Brocardé « fossoyeur de la France », tout gaulliste qu'il fût, on l'accusait dans les salons de « mettre en péril la moralité de la jeunesse », et un sénateur de l'Est alla jusqu'à demander son jugement en Haute cour.

C'est parmi ses collègues de l'Assemblée que fleurirent les déclarations les plus significatives de l'état d'esprit de ces notables mâles bien-pensants. L'un trouvait « regrettable qu'un tel projet ne puisse être discuté à huis clos, comme aux assises lorsqu'il s'agit d'une affaire de moeurs ». L'autre déclarait qu'aux États-Unis, où la pilule était autorisée depuis 1965, l'esprit du législateur voulait que son usage soit « répandu au sein des classes sociales déshéritées – Noirs, indigents, chômeurs – dont la réduction numérique est grandement souhaitée par le gouvernement ». Un de ses collègues s'alarmait : « Les maris ont-ils songé que, désormais, c'est la femme qui détiendra le pouvoir absolu d'avoir ou de ne pas avoir d'enfant en absorbant la pilule, même à leur insu ? Les hommes perdront alors la fière conscience de leur virilité féconde et les femmes ne seront plus qu'un objet de volupté stérile. » Un amendement proposa même d'exiger l'autorisation de l'époux pour la délivrance de la pilule à une femme mariée, sinon « ce serait lui conférer en même temps le droit de mentir à son mari ». Neuwirth fut d'ailleurs accusé « d'ouvrir les portes à la dépravation de la jeunesse et au relâchement des moeurs du pays ».

Le camp des tartuffes au pouvoir ne s'avoua pas vaincu malgré le vote de la loi : les décrets d'application ne furent publiés qu'en 1969 et 1972, où les centres de planning familial furent autorisés à dispenser la contraception. Puis, pas supplémentaire dans la liberté des femmes, chèrement gagnée par leurs luttes, la loi Veil autorisant l'IVG, l'interruption volontaire de grossesse, fut promulguée en janvier 1975. Mais aujourd'hui, les femmes ont encore à se battre pour défendre leur droit essentiel à avoir « un enfant si elles veulent, quand elles veulent ».

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