Les lunettes déformantes du Conseil constitutionnel25/01/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/01/une-1748.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Les lunettes déformantes du Conseil constitutionnel

Les neuf juges qui composent le Conseil constitutionnel, présentés comme neuf sages, censés garantir, en toute objectivité, qu'en tout lieu et en toute circonstance la Constitution de la République soit parfaitement respectée, ont récemment sanctionné l'article 107 de la loi "de modernisation sociale", adoptée en décembre dernier.

A propos des licenciements économiques, cet article consistait seulement à préciser qu'ils ne devaient intervenir que s'ils étaient nécessaires à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise, ou en cas de difficultés économiques sérieuses. Ce n'était donc pas très contraignant vis-à-vis des patrons, mais cela a suffi pour que les juges censurent ce texte par lequel, ont-ils déclaré, "le législateur a porté à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l'objectif poursuivi du maintien de l'emploi".

Dans leur décision, les juges ont précisé que dans "les principes posés tant par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que dans le préambule de la Constitution de 1946 (...) il y a lieu de ranger la liberté d'entreprendre"... sauf que cette "liberté d'entreprendre", que les juges et les patrons traduisent par liberté de licencier, ne figure dans aucun de ces deux textes ! Comme quoi, si le Conseil constitutionnel a la prétendue fonction d'être le gardien de la Constitution, il a surtout celle de l'interpréter dans un sens favorable aux patrons, voire de la compléter et de la modifier en fonction de leurs intérêts.

En revanche, ces mêmes juges soi-disant très à cheval sur le respect des principes constitutionnels, ne relèvent pas que dans le même préambule de 1946, il est écrit par exemple que "chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi". Ils ne s'offusquent pas du fait que ce droit à avoir un emploi soit bafoué ouvertement par le patronat et n'imaginent même pas qu'ils pourraient sévir contre les licencieurs au nom de ce même préambule de la Constitution.

Parmi "les principes politiques, économiques et sociaux" que ce texte qualifiait de principes "fondamentaux" figurent, entre autres, le droit de grève, ou le droit pour "tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler (...) d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence". Mais on n'a jamais vu les neuf juges s'élever pour faire respecter ces droits "fondamentaux". Pas plus qu'ils ne dénoncent les privatisations et la dégradation des services publics alors que le même préambule qu'ils évoquent pour défendre la liberté des patrons de licencier précise également que "tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité" !

Les juges du Conseil constitutionnel chaussent les lunettes de la classe des capitalistes, puis comprennent les textes... comme ils le veulent.

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