il y a 70 ans, 1er décembre 1944 : Le massacre de tirailleurs sénégalais par l'armée française10/12/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/12/2419.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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il y a 70 ans, 1er décembre 1944 : Le massacre de tirailleurs sénégalais par l'armée française

Le 1er décembre 1944, l'armée française tirait sur des tirailleurs africains regroupés dans le camp militaire de Thiaroye, près de Dakar au Sénégal, faisant officiellement 35 morts. Ils réclamaient juste le paiement des arriérés de solde que l'armée leur devait.

Le silence a longtemps été fait sur ce massacre, l'armée usant de mensonges et de falsifications pour masquer son forfait. À l'heure actuelle, si Hollande, en visite à Dakar en octobre 2012, a parlé de « part d'ombre de notre histoire » à propos de ce drame et a promis de donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose, les soldats africains morts ou condamnés pour rébellion n'ont toujours pas été réhabilités. Et l'État français continue à couvrir son armée pour ce crime, comme il l'a fait pour bien d'autres massacres coloniaux qu'elle a perpétrés.

Communément appelés « tirailleurs sénégalais », 140 000 Africains originaires des colonies françaises de l'ouest du continent avaient été enrôlés dans l'armée française dès le début de la Deuxième Guerre mondiale. Envoyés souvent en première ligne pour combattre l'armée allemande, beaucoup y laissèrent la vie et la moitié furent internés dans des camps allemands installés sur le sol français - gardés par la police française sous le régime de Vichy. Libérés en 1944, ils avaient droit à une solde de captivité en tant que soldats de l'armée française. Il avait été stipulé qu'un quart de la somme leur serait versé au moment du départ de France et les trois quarts restants lors de leur arrivée à Dakar.

Le massacre des soldats africains

À leur départ de Morlaix, début novembre, les soldats africains démobilisés avaient bien reçu un quart de leur solde mais, contrairement à la promesse faite, ils n'avaient pas eu le reste lors de leur débarquement. D'autres primes auxquelles ils avaient droit ne leur avaient pas non été plus versées.

Le 28 novembre, refusant de quitter le camp de Thiaroye tant que leurs droits n'auraient pas été respectés, cinq cents hommes bloquent la voiture du général Dagnan, le temps qu'il promette d'examiner leur demande. Mais, loin d'être sensible à l'injustice subie par les soldats africains, ce dernier parle alors de prise d'otage et de mutinerie qu'il allait falloir mater par la force. Une intervention militaire est prévue pour le 1er décembre.

Ce jour-là, les soldats africains rassemblés dans la cour se retrouvent face à des bataillons renforcés par un char, trois automitrailleuses et autres matériels de guerre. Les tirs se font sans sommation. Les chiffres officiels font état de 35 morts et 46 blessés, mais il y en eut certainement beaucoup plus. Le général Dagnan lui-même parle de 70 morts dans un de ses rapports. Plus tard, des historiens ont démontré qu'il y avait eu une manipulation des chiffres pour minimiser le nombre de morts. En faisant le décompte entre le nombre de soldats embarqués au départ et ceux qui auraient dus se trouver dans le camp de Thiaroye, ils ont trouvé une différence inexpliquée d'environ 400 personnes !

Le procès qui eut lieu en février 1945 se termina par la condamnation de 45 tirailleurs africains à des peines allant d'un à dix ans de prison, accompagnées, pour la plupart, d'une dégradation militaire, ce qui signifie qu'eux ou leurs ayants droit perdaient toutes les sommes qui leur étaient dues au titre de leur solde ou de leurs droits à la retraite.

Des falsifications couvertes par l'appareil d'État

L'enquête qui s'ensuivit, si tant est que l'on puisse parler d'enquête, fut une accumulation de calomnies, de rapports mensongers et de prétendues preuves fabriquées après les faits.

Comme les tirailleurs avaient été internés dans des camps allemands, les autorités militaires firent courir le bruit qu'ils avaient été sous l'influence de la propagande nazie, ce qui aurait motivé leur rébellion. Ensuite, des rapports mensongers ont indiqué que les premiers coups de feu provenaient des « mutins », l'armée française n'ayant fait que riposter pour se défendre. En fait, les tirailleurs africains rassemblés dans la cour avaient laissé leurs armes - des poignards - dans les bâtiments, et le seul Français blessé le fut après une chute !

Les différents rapports faits par des responsables présentaient en outre des incohérences, et la chronologie des faits, telle que l'a rapportée le commandant des automitrailleuses, a été amputée de trois quarts d'heure, trou correspondant précisément au moment de la fusillade.

La preuve la plus sordide que le massacre de Thiaroye avait été prémédité et perpétré de sang-froid fut fournie par des témoignages, non pris en compte par les autorités, évidemment : plusieurs personnes ont déclaré que, la veille, elles avaient vu des militaires creuser des fosses.

Le forfait des autorités militaires françaises du Sénégal fut couvert au plus haut niveau. Pour apporter la preuve que la demande des tirailleurs, qualifiée de rébellion, était illégitime, et que l'armée avait eu raison de tirer sur eux, le gouvernement publia le 4 décembre 1944, soit trois jours après les faits une circulaire antidatée. Celle-ci stipulait que « les soldes de captivité seront payées intégralement avant le départ de la métropole », contrairement à ce qu'indiquaient les précédents textes. Ce faux document couvrait ainsi une spoliation au détriment des soldats africains, et l'on peut se poser la question de savoir où était passé l'argent qui devait leur être versé.

En juin 1947, le gouvernement décida la suspension de l'exécution des peines, mais non une amnistie. Aujourd'hui encore, l'État français n'a toujours ni reconnu ni condamné la responsabilité de son armée dans le massacre d'hommes enrôlés pour mener sa guerre en leur déniant tout droit, y compris celui de percevoir leur solde et des dédommagements pour la captivité qu'ils avaient subie.

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