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Kenya : Les affrontements sanglants continuent
Pas un jour ne se passe au Kenya sans son lot de morts, criblés de balles, dans les grandes villes du pays et notamment la capitale, Nairobi. Le bilan des émeutes et des affrontements qui ont suivi les élections s'élèverait à au moins 700 morts et 250 000 personnes déplacées.
Ces derniers jours, l'opposition a continué les manifestations pour réclamer la démission du président Kibaki. Le 27 décembre dernier, Kibaki, chef du Parti pour l'Union Nationale (UNP en anglais), a subi une cuisante défaite électorale aux élections législatives. Ne voulant pas subir le même sort à l'élection présidentielle, qui se déroulait en même temps, il s'est autoproclamé élu, déclenchant la colère de l'opposition et embrasant le pays.
On assiste aujourd'hui au Kenya à l'explosion d'une poudrière, faite de pauvreté et de relents de conflits inter-ethniques, dont les racines remontent à la colonisation britannique. Pour asseoir sa domination, les colonisateurs avaient dressé les ethnies les unes contre les autres, et en particulier celle des Kikuyu contre celle des Luo. Cette division est aujourd'hui au centre des manoeuvres des deux principaux acteurs de la crise actuelle, Mwai Kibaki et le leader de l'opposition, Raila Odinga.
Au lendemain de l'Indépendance, à la fin de l'année 1963, les leaders nationalistes kenyans, loin de chercher à se débarrasser de cet héritage empoisonné, en firent le socle sur lequel se développa l'infime minorité formée par la bourgeoisie kenyane, recrutée à l'époque dans les rangs Kikuyu. Mais comme cette ethnie était elle-même formée d'une multitude de sous-ethnies, celles-ci devinrent la base d'un système de clientélisme dans les rivalités entre politiciens. Tandis que l'affairisme et la corruption de la bourgeoisie faisait sombrer le pays toujours plus loin dans la pauvreté, les rivalités entre clans politiciens ont contribué à la décomposition actuelle de l'État kenyan, suivant des lignes de fractures marquées par l'ethnisme.
Dans les bidonvilles de la capitale, Nairobi, là où auparavant, Kikuyu et Luo vivaient côte à côte, dans la même misère, le piège ethnique menace de se refermer. Ainsi voit-on des bandes de jeunes Luo, armés de machettes, dresser des barrages et pourchasser des Kikuyu. Mais l'ethnisme n'est pas toujours à la base des exactions qui sont commises. Ainsi, dans le bidonville de Matharé, ce sont des bandes armées de la secte religieuse des Mungiki qui sèment la terreur. Bien que les Mungiki se recrutent essentiellement parmi l'ethnie Kikuyu, ce sont essentiellement des malfrats qui vivent du rackett de la population pauvre. Mais surtout, ils se vendent au plus offrant à qui ils servent d'hommes de main ou d'auxiliaires, qu'il s'agisse de politiciens ou des forces de répression. L'existence de telles bandes armées est révélatrice de la désintégration du pays.
Bien que prenant, en partie, la forme d'affrontements ethniques, la crise actuelle est surtout le produit de la misère dans laquelle est plongée la majorité de la population du pays. En Europe, on connaît surtout le Kenya par les photos de plages et de safaris des agences de voyage. Or derrière, les inégalités se sont aggravées. À Nairobi, plus de 60 % de la population vit dans des bidonvilles, parfois tout près de résidences luxueuses, comme celle de l'ancien dictateur Arap Moi. Les inégalités sociales entre régions se sont aussi creusées. Si dans la province centrale, la majorité des enfants est scolarisée, un sur trois l'est dans le Nord-Est du pays. Dans une autre province, il existe un médecin pour 120 000 habitants.
Nombre de ceux qui manifestent aujourd'hui sont d'anciens paysans pauvres chassés de leurs terres, des prolétaires sans travail ou des jeunes vivant dans des casemates, sans eau ni électricité, et survivant avec moins de un dollar par jour. Les masses pauvres kenyanes ne peuvent attendre d'un Mwai Kibaki que des balles. Mais elles n'ont rien à attendre non plus d'un Raila Odinga, lui, qui en 2005, était encore ministre du gouvernement Kibaki.