Côte-d'Ivoire : Une guerre qui nous concerne05/12/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/12/une1792.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Côte-d'Ivoire : Une guerre qui nous concerne

Pendant qu'en France, les grands magasins et les chaînes commerciales ne savent plus quoi inventer pour attirer le chaland à l'approche des fêtes, du moins ceux qui ne sont ni chômeurs, ni trop mal payés, la Côte-d'Ivoire s'enfonce dans la guerre.

La Côte-d'Ivoire est loin, et pourtant ce qui s'y passe nous concerne. Elle nous concerne parce que les troupes françaises présentes en permanence dans le pays interviennent de plus en plus ouvertement dans le conflit. Et pour la première fois, le week-end des 30 novembre et 1er décembre, elles ont fait des morts.

Elle nous concerne aussi parce que ce pays est issu de l'ancien empire colonial français d'Afrique et parce que, bien que le pays soit indépendant depuis plus de quarante ans, l'économie est dominée par des trusts français qui nous exploitent aussi.

Depuis plusieurs semaines, à la suite d'une rébellion militaire, le pays se trouve coupé en deux. Une nouvelle rébellion armée vient de couper le pays en trois.

Les médias ont présenté l'intervention de l'armée française dans cette troisième zone comme une intervention humanitaire visant à sauver la vie des étrangers non africains. Mais elle a aussi ouvert le chemin aux troupes gouvernementales, prenant ainsi parti entre les bandes armées qui déchirent le pays.

Si les étrangers non africains, pour la plupart français, sont nombreux en Côte-d'Ivoire, ils sont rarement des médecins, des enseignants ou des ingénieurs venus aider la population, mais des cadres de grandes sociétés françaises, présentes pour l'exploiter. Bouygues dispose du monopole de l'électricité et de l'eau, sans parler des grands chantiers de travaux publics. Le groupe Bolloré possède le chemin de fer du pays et domine le port d'Abidjan et le chantier naval. Bien des banques et des hypermarchés portent les enseignes d'ici.

La Côte-d'Ivoire, le pays le plus riche de l'ancien empire colonial français d'Afrique, premier producteur mondial de cacao, grand producteur de café, a été longtemps un paradis pour ceux qui sont venus faire fortune dans le pays, où l'écrasante majorité des habitants se considère heureuse lorsqu'elle peut prendre un repas par jour. Mais il n'en a jamais été un pour la majorité des habitants.

Tant que le cacao et le café se vendaient bien sur le marché mondial, il y avait au moins du travail dans les campagnes. Comme il y en avait dans les grandes villes où se construisaient des buildings pour les banques et les sièges des grandes entreprises, et des villas pour leurs cadres, pendant que ceux qui les construisaient se serraient dans des taudis infects. Du travail, il y en avait tellement que le pouvoir colonial français d'abord, puis la dictature au profit de laquelle il avait décolonisé, ont fait appel à de la main-d'oeuvre venant d'autres pays, dont le Burkina voisin.

Mais quand le ralentissement économique est intervenu, en Côte-d'Ivoire comme ailleurs, c'est aux travailleurs des villes et des campagnes qu'on en a fait payer le prix. Et, en Côte-d'Ivoire comme ailleurs, il s'est trouvé des démagogues pour dresser les travailleurs d'origine ivoirienne contre les travailleurs immigrés. Les conséquences en sont cependant d'autant plus graves en Côte-d'Ivoire que la misère y est plus grande et que les frontières tracées par l'ancien pouvoir colonial passent au milieu des peuples et des ethnies, et que la distinction entre nationaux et étrangers a encore moins de signification en Côte-d'Ivoire qu'ailleurs.

Aujourd'hui, les démagogues de la politique qui propageaient des mots assassins ont été relayés par les bandes armées qui assassinent. La population, dont la pauvreté est déjà aggravée par le ralentissement de la vie économique, par la fermeture des usines et des chantiers, est en plus rançonnée par les bandes armées.

Le gouvernement français affirme déplorer l'engrenage de la violence en Côte-d'Ivoire. Mais cette violence incontrôlée est issue de la violence des régimes ivoiriens successifs, protégés par l'État français afin que des groupes français puissent continuer à amasser de l'argent dans ce pays. Leur argent a aujourd'hui une forte odeur de sang.

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