Côte-d'Ivoire : Sous la botte des militaires le pays s'enfonce dans la guerre civile05/12/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/12/une1792.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Côte-d'Ivoire : Sous la botte des militaires le pays s'enfonce dans la guerre civile

Les négociations entre forces rebelles et gouvernement ivoirien, conduites à Lomé, au Togo, sous l'égide du dictateur Eyadema, médiateur des États d'Afrique de l'Ouest, traînent en longueur et risquent de tourner court. Les mutins, qui ont pris depuis fin septembre le contrôle de tout le nord du pays, campent sur leurs positions et réclament le départ de Gbagbo avant de déposer les armes. Soutenu par l'armée française, le régime de Gbagbo refuse de céder et joue la montre, pour mieux préparer une contre-offensive militaire. Mais d'ores et déjà, il doit affronter un second foyer de rébellion dans l'ouest du pays.

MPCI, RDR, ou FPI : aucun de ces partis n'est du côté des masses pauvres

Le Mouvement Patriotique de Côte-d'Ivoire (MPCI), la branche politique de la rébellion, accuse le régime ivoirien de mettre des bâtons dans les roues de la médiation et d'organiser la contre-offensive à partir du Ghana voisin. Ce nouveau parti prétend parler au nom des peuples du nord du pays et bénéficie d'un certain soutien populaire. Mais en fait, bien qu'il s'autoproclame leur porte-parole, il ne se préoccupe guère du sort des masses populaires ivoiriennes et immigrées.

Georges Soro, qui conduit les négociations à Lomé, est un ancien leader étudiant proche du RDR, le Rassemblement des Républicains, le parti d'Alassane Ouattara. Ce dernier avait été écarté de la course à la présidentielle pour cause de " nationalité douteuse ", le pouvoir lui reprochant son origine burkinabé. Autre porte-parole du MPCI : Louis Dacoury-Tabley. Ce dernier est un rejeton d'une grande famille de la bourgeoisie ivoirienne, totalement étranger aux aspirations des masses populaires. C'est un transfuge du Front Populaire Ivoirien (FPI) de Gbagbo ! Dès l'annonce publique de son ralliement aux rebelles, le pouvoir a fait assassiner son frère en guise de représailles.

Les autres leaders de la rébellion : les militaires comme l'adjudant Fozié sont tous des hommes de main recrutés par Robert Gueï, l'ancien général putchiste (assassiné au tout début de la crise actuelle), et exécuteurs de ses basses oeuvres lorsqu'il était au pouvoir. Qu'ils soient militaires ou civils, ces hommes appartiennent au sérail de l'appareil d'État et au personnel politique à son service. Il est difficile de savoir quels sont les objectifs réels de la rébellion, au-delà des ambitions et des rivalités de ses leaders qui, pour la plupart, ont servi le pouvoir qu'ils combattent aujourd'hui. Celle-ci ne se place en aucun cas sur le terrain de classe des masses pauvres, mais il est évident que les préoccupations des leaders du MPCI sont à mille lieues des problèmes des travailleurs, des petites gens et de tous les pauvres qui se battent pour survivre en Côte-d'Ivoire.

Alassane Ouattara, qui a surtout brillé par son silence depuis le début de la crise, ne vaut pas mieux. Cet ancien membre du FMI et ancien Premier ministre d'Houphouët-Boigny fut à l'origine de mesures réactionnaires et antiouvrières lorsqu'il était au pouvoir, comme le rétablissement de la carte de séjour pour les immigrés et la loi anticasseurs. Son parti détenait même quatre portefeuilles ministériels dans le gouvernement de Gbagbo, ministres qui viennent tout juste de démissionner... deux mois après le début de la crise ! Et, grâce à l'intervention directe du ministre des Affaires étrangères français Dominique de Villepin, Alassane Ouattara a trouvé refuge au Gabon, chez Omar Bongo, autre dictateur ami de la France !

Un régime aux abois qui sème la terreur

Si Gbagbo pousse ses négociateurs à gagner du temps à Lomé, c'est pour lui permettre de préparer une contre-offensive. D'autant qu'il doit faire face à un nouveau mouvement rebelle dans l'ouest du pays qui se réclame du défunt général Gueï. Entre-temps, Gbagbo laisse libre cours aux nervis de son parti, le FPI, le Front Patriotique Ivoirien, et à sa soldatesque, pour faire régner l'arbitraire dans les rues d'Abidjan, incendiant les maisons, pourchassant les immigrés. Les escadrons de la mort sévissent en toute impunité, enlevant les opposants, arrêtant les " suspects " dont on retrouve les corps criblés de balles dans les faubourgs de la capitale quelques jours plus tard.

Cette politique de terreur du régime Gbagbo - régime à qui Dominique de Villepin est tout récemment venu réaffirmer le soutien politique et militaire de la France lors d'une visite éclair dans la région - vise à faire régner la peur dans les rangs des masses populaires, pour qu'elles acceptent avec résignation leur condition. Le couvre-feu permet à l'armée gouvernementale de contrôler la population, tandis que les médias déversent leur poison nationaliste et xénophobe.

Aujourd'hui, la partition du pays est un fait incontournable, avec ce que cela suppose comme difficultés économiques et comme aggravation des conditions de vie pour les plus pauvres. L'apparition d'un second foyer de rébellion, dans l'ouest du pays, fin novembre, témoigne de la déliquescence de l'armée gouvernementale. Ce qui est le principal pilier de l'appareil d'État risque en fait à tout moment de voler en éclats. C'est d'ailleurs la plus grande crainte du régime de Gbagbo, soutenu à bout de bras par la France.

Chaque jour qui passe voit donc la Côte-d'Ivoire sombrer un peu plus dans un chaos où s'affrontent des bandes armées rivales sous le contrôle de seigneurs de la guerre ; chacun s'étant taillé un fief sur une base plus ou moins ethnique. Et le fait que certains mouvements semblent avoir un soutien populaire ne change en rien la donne. La situation évolue très vite : il se peut que les différentes bandes armées - rebelles et gouvernementales - finissent par s'entendre sous la pression de l'impérialisme français, soucieux de rétablir un climat plus favorable à la bonne marche de ses affaires en Côte-d'Ivoire mais aussi dans les pays limitrophes. Mais il se peut également, et cela n'est pas l'hypothèse la moins vraisemblable, que l'on assiste à plus ou moins brève échéance à l'éclatement de l'armée gouvernementale en plusieurs factions rivales, provoquant ainsi l'effondrement de l'appareil d'État. Cela plongerait définitivement le pays dans la guerre civile, avec son cortège de massacres et d'horreurs, à l'image de ce qui s'est passé au Liberia, en Sierra Leone ou encore au Rwanda.

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