Grande-Bretagne : Blair à l'épreuve des barrages routiers15/09/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/09/une-1679.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : Blair à l'épreuve des barrages routiers

Le 6 septembre, les protestations contre la hausse des prix de l'essence et du fuel ont traversé la Manche et à la différence de ce qui s'est produit en France, elle ont concerné plus les travailleurs eux-mêmes que les patrons du transport routier.

La presse britannique, qui avait mené une violente campagne contre les barrages routiers français, accusés de " prendre l'économie britannique en otage ", a brusquement perdu la voix. D'autant que dès le début les manifestants anglais ont bénéficié de la sympathie générale de l'opinion publique. Et il y a de quoi, puisqu'à 9 F le litre de 95 sans-plomb, l'essence britannique est aujourd'hui la plus chère d'Europe, grâce à l'augmentation annuelle de la taxe pétrolière pratiquée par le gouvernement Blair depuis 1997 (de sorte qu'aujourd'hui 76 % du prix du litre à la pompe vont dans les poches de l'Etat). Sans parler de la hausse astronomique du coût du fuel domestique au cours des deux dernières années (jusqu'à 200 % dans certaines régions), hausse qui est due en partie elle aussi à l'augmentation de la taxation mais aussi à la suppression de tout encadrement des prix et à la constitution de monopoles privés régionaux dans la distribution.

C'est par le blocage d'une raffinerie Shell au nord du pays de Galles que le mouvement a démarré. A l'origine de cette initiative, il y avait d'une part un groupement de routiers coopératifs gallois et de l'autre un groupement paysan, " Farmers for Action ". Ce dernier a acquis une certaine notoriété depuis un an par une série de manifestations contre le monopole des chaînes de supermarchés sur la distribution des produits agricoles, campagne plutôt bien prise par les consommateurs en général et les travailleurs en particulier.

Autant dire que le mouvement n'a pas été lancé dans le cadre des organisations corporatistes traditionnelles et celles-ci n'ont d'ailleurs pas tardé à faire savoir leur désapprobation : le puissant Syndicat National des Paysans s'est empressé de désavouer les barrages, aussitôt imité par trois des quatre organisations patronales du transport routier et surtout par l'équivalent britannique du Medef, le CBI, qui a appelé le patronat du secteur à mettre tout en oeuvre pour empêcher le blocage des installations pétrolières.

Mais rien n'y a fait. Quarante-huit heures plus tard le mouvement avait gagné tout le pays. Les sept principaux terminaux pétroliers étaient isolés du monde extérieur par des barrages opérant 24 heures sur 24 et par la fermeture des vannes de leurs pipelines, tandis que les principaux centres de raffinage et de stockage pétroliers étaient paralysés, autant d'ailleurs par les barrages eux-mêmes que par le refus d'un grand nombre de conducteurs de camions-citernes de les franchir, avec ou sans la protection de la police.

Les paysans et les routiers (artisans ou semi-salariés essentiellement) n'étaient d'ailleurs plus seuls. Dans nombre de grandes villes les taxis se sont joints aux manifestations de protestation, rejoints par de simples automobilistes déterminés à exprimer leur colère. C'est ainsi que s'est développé à côté des barrages, sur les grands axes routiers comme dans les villes, un mouvement de protestation tous azimuts, plutôt anarchique et bon enfant. Et les slogans arborés par les véhicules des manifestants, parmi lesquels " Réduction de la taxe pétrolière pour tous " ou encore " BP, Shell = profiteurs ; ce sont eux qu'ils faut taxer ", ont été reçus avec une sympathie évidente, aussi bien par les badauds que même par la majorité des automobilistes immobilisés par ces embouteillages géants.

Quoi qu'il en soit, dès le 9 septembre, l'essence était devenue introuvable dans plusieurs régions du pays, au point que dans le nord la police elle-même annonçait la réduction du nombre de ses patrouilles, de peur de se trouver à court de carburant. De toute évidence, et malgré la ligne officielle accusant les automobilistes de causer cette pénurie par un réflexe de panique, les barrages se montraient efficaces.

Pour l'instant en tout cas, l'importance de ces manifestations tient surtout au fait que c'est le premier mouvement de protestation d'une telle ampleur contre la politique gouvernementale depuis que les Travaillistes sont revenus au pouvoir il y a trois ans. Pour Blair, qui n'a encore jamais eu l'occasion de faire ses preuves au feu devant le patronat, il s'agit de faire face et de ne pas " céder à la rue ". D'où son attitude intransigeante, voire même parfois provocante jusqu'à présent, puisqu'il en est à annoncer le recours à la force contre les barrages et à l'armée pour assurer la distribution de l'essence.

D'autant d'ailleurs que les patrons ne sont pas les seuls à observer Blair. Les travailleurs qui ont, eux aussi, des comptes à régler avec sa politique et dont certains se sont d'ailleurs joints aux dernières manifestations, ont aussi l'Ïil sur ses réactions. Une preuve de faiblesse de sa part dans le contexte actuel pourrait être vue par certains secteurs de la classe ouvrière, dans les services publics en particulier, comme une occasion de faire entendre leur voix. C'est sans doute cela que Blair craint le plus dans les manifestations d'aujourd'hui. Et on ne peut que souhaiter que ses craintes se révèlent fondées.

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