En 1936, John Steinbeck avait 34 ans et venait d'écrire deux romans, dont En un combat douteux, dans lequel il relatait les péripéties d'une grève de travailleurs saisonniers dans les vergers de Californie. Un journal de San-Francisco lui commanda alors une série d'articles sur les conditions de vie des fermiers du Middle-West, dépossédés et chassés de leurs terres et de leur maison par une implacable sécheresse provoquant d'incessantes tempêtes de poussière, mais plus encore par la rapacité de banquiers usuriers, voulant récupérer au plus vite les capitaux prêtés et n'hésitant pas à jeter sur les routes des familles entières.

Steinbeck écrivit sept articles, édités dans ce tout petit livre, articles dans lesquels il dénonçait l'exploitation brutale des travailleurs agricoles saisonniers. Dans un contexte de chômage massif, les propriétaires jouaient à fond la concurrence entre travailleurs afin de baisser sans cesse les salaires et d'imposer des conditions de vie lamentables, dans des campements de fortune, qui évoquent aujourd'hui les bidonvilles du Tiers Monde ; sans oublier la présence pesante de vigiles privés, à la matraque et à la gâchette faciles.

Seuls les camps mis en place par l'administration publique trouvèrent grâce aux yeux de Steinbeck. Il est vrai qu'il y régnait un minimum d'hygiène et de respect des individus. Conscient des injustices liées à l'anarchie capitaliste et à l'âpreté au gain des propriétaires, Steinbeck dénonçait mais se contentait aussi de vanter les " réformes " mises en Ïuvre par le gouvernement de Roosevelt, essayant de convaincre les nantis de leurs vertus pour écarter les risques d'une révolte ouvrière...

Un petit livre éclairant sur cette période de l'histoire américaine que Steinbeck raconta de façon plus développée et frappante dans son roman Les raisins de la colère et dont les articles rassemblés ici donnent un avant-goût.

Alain VALLER

"Les bohémiens des vendanges", de John Steinbeck, Editions des Mille et une nuits, 60 pages, 10 francs.