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Iran - Après les élections : La dictature islamiste face à la contestation
Si d'une part, le président sortant mobilise ses propres partisans pour manifester, les autres manifestants sont les partisans des deux principaux candidats qui lui étaient opposés, Mir Hussein Moussavi et Mehdi Karoubi qui affirment tous deux qu'il y a eu fraude. Pour tenter de désamorcer le mouvement, le pouvoir réel représenté par le Conseil des gardiens de la révolution et son « Guide suprême » Ali Khamenei proposent un simple recompte des voix. Mais les opposants continuent de demander qu'on proclame vainqueur Moussavi.
Quatre candidats choisis par le régime
Si la dictature islamiste en place depuis la chute du Chah en 1979 organise des élections pour choisir le président, celui-ci n'est en réalité qu'une sorte de Premier ministre, qui peut servir de fusible en cas de crise. Le véritable patron de l'Iran reste le « Guide suprême » qui n'est élu que par le haut clergé chiite et dont le poulain dans ces élections était le président sortant Mahmoud Ahmadinejad.
Ce dernier est un ancien pasdaran, ces miliciens islamistes qui ont réprimé la population dans les premières années de la mise en place du régime islamiste en1979 et qui en sont restés un des piliers. Mais Moussavi n'est pas étranger au régime islamiste. S'il s'est présenté comme un « modéré » et un « réformateur », il a été aussi le Premier ministre préféré de l'ayatollah Khomeiny, décédé en 1989. Architecte de métier, Moussavi a même dessiné le mausolée de l'ayatollah « tombeur » du Chah !
C'est dire que le « choix » offert aux électeurs iraniens dans ces élections était très contrôlé. Mais comme bien d'autres chevaux de retour de la vie politique, Moussavi a su séduire une partie des classes urbaines qui ne supportent plus la dictature islamiste, les jeunes des milieux étudiants et intellectuels, des minorités ethniques mais aussi des femmes à qui il a laissé entendre qu'il réformerait la « police des moeurs » qui gendarme leur comportement. Une partie de la bourgeoisie commerçante craint aussi que les rodomontades d'Ahmadinejad à propos d'Israël ou du nucléaire ne finissent par des bombardements israéliens ou américains et en tout cas lui reprochent les difficultés économiques découlant de l'embargo américain.
Mais si Moussavi avait la faveur de ceux qui ne supportent plus le carcan de l'État religieux, le président sortant n'avait certainement pas perdu pour autant la base populaire qui, hors des grandes villes, avait assuré son élection en 2005 et qui représente peut-être encore la majorité de la population. Les partisans de Moussavi ont brocardé le « candidat des patates » parce que le président sortant, soucieux du vote des plus déshérités, leur distribue bons alimentaires et sacs de pommes de terre. De même, il a pris l'habitude de décentraliser en province le conseil des ministres pour se « rapprocher du peuple » et utilise les revenus du pétrole pour la construction d'infrastructures.
Mais la montée du chômage, l'inflation élevée, la hausse des prix des denrées alimentaires et des loyers, le rationnement de l'essence (dans un pays producteur de pétrole !), avaient amené les journalistes occidentaux à pronostiquer un second tour qui aurait départagé les deux principaux protagonistes de l'élection. La campagne à la télévision, où Moussavi a eu un certain succès face au président sortant, a accrédité cette idée. Le résultat annoncé le soir même de l'élection, donnant Ahmadinejad vainqueur avec 63 % des suffrages exprimés, a donc constitué une surprise pour beaucoup, amenant les partisans des autres candidats à descendre dans la rue avec des pancartes, « Où est mon vote ? ».
Une dictature que beaucoup ne supportent plus
Quelle a été la réalité et l'ampleur de la fraude ? L'opposition dit avoir entre les mains de vrais résultats donnant premier et deuxième Moussavi et Karoubi. Rien n'interdit de penser que la dictature islamiste ait finalement décidé de proclamer vainqueur celui que les urnes annonçaient troisième. Mais rien ne dit non plus qu'Ahmadinedjad n'ait pas conservé suffisamment de soutien dans les milieux les plus pauvres pour avoir remporté l'élection sans avoir besoin de truquages massifs.
Le seul résultat bien visible pour l'instant c'est la colère des électeurs qui se sentent floués par le résultat et qui depuis manifestent dans les rues des grandes villes du pays. Le mouvement touche les étudiants, les classes moyennes des grandes villes, la petite bourgeoisie dite « moderniste » qui ne supporte plus le carcan de l'État religieux. Le régime a fait fermer Internet et les réseaux de téléphones portables et lancé sa police contre ceux qui manifestent, tandis que Moussavi appelait ses partisans au calme. Mais les manifestants ont continué de descendre dans la rue.
Lundi 15 juin, on a pu dénombrer, selon les sources, d'un à deux millions de manifestants à Téhéran, au point que Moussavi s'est joint aux manifestations pour dire qu'il « était prêt à participer à une nouvelle élection ». Les affrontements ont été violents et auraient fait sept morts côté manifestants.
Les manifestations vont-elles continuer ou au contraire s'épuiser ? C'est sans doute ce que la dictature islamiste espère. Mais il lui serait tout à fait possible de composer avec Moussavi qui ne lui est pas étranger et qui pourrait l'aider à changer l'image de l'Iran vis-à-vis des grandes puissances en se montrant un interlocuteur plus lisse et moins provocateur.
Les classes populaires et la contestation
Que les fraudes aient été réelles ou non, suffisamment étendues ou non pour changer l'issue du scrutin, on comprend bien sûr le sentiment de toute cette partie de la population iranienne qui ne supporte plus la dictature et qui l'exprime par ces manifestations. Reste à savoir ce que ce mécontentement recouvre vraiment. Si une partie des couches urbaines ne supporte plus le carcan moyenageux de cette dictature religieuse, cela touche certainement moins les couches populaires, aux prises avec des problèmes plus immédiats de survie et qui ne voient sans doute pas dans la mobilisation actuelle un mouvement suceptible de satisfaire leurs exigences. C'est ce qui fait certainement la solidité d'Ahmadinejad et, au-delà, du régime.
Bien sûr, ce serait l'intérêt des travailleurs et de l'immense majorité pauvre de la population iranienne d'en finir avec cette dictature, mais pas seulement pour avoir un régime plus moderniste et plus ouvert à l'Occident, ils en ont déjà fait l'expérience dans le passé avec le Chah. Pour entrer vraiment en lutte, il faudrait vraiment l'espoir d'une révolution amenant la satisfaction des besoins essentiels de la population pauvre.