Inégalité dans l'Éducation : Il faut plus de moyens16/10/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/10/une1837.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

Inégalité dans l'Éducation : Il faut plus de moyens

Un document officiel intitulé "Éléments pour un diagnostic de l'école" émanant d'un Haut conseil de l'évaluation de l'école fait un état des lieux du système scolaire en France. Il affirme entre autres que "l'école n'a pas réussi à corriger les inégalités, mais les a amplifiées".

Bien des enseignants le constatent en effet: les jeunes venant de milieux favorisés sont en situation de profiter au mieux de l'enseignement, tandis que les autres peuvent se trouver rapidement en situation d'échec scolaire sans plus pouvoir en sortir.

Mais quelle conclusion tirer, une fois ce constat fait, d'ailleurs connu de tous, enseignants, comme parents? Il y a fort à parier que le gouvernement, qui compte utiliser ce document dans son débat national sur l'école, n'en tirera aucunement cette conclusion évidente qu'il faut plus de moyens pour l'école.

Le rapport constate qu'à l'entrée en CE2, 10% des élèves ne savent quasiment pas lire. A l'entrée en 6e, 3% ont des lacunes graves dans tous les domaines de la lecture, 12%, des difficultés importantes. Ces difficultés concernent en premier lieu les enfants des classes populaires. 90% des enfants de cadres accèdent à une classe de seconde générale ou technologique, contre seulement 42% des enfants d'ouvriers. 80% des enfants de cadres continuent des études après le bac, contre 30% des enfants d'ouvriers. De ce constat le bon sens devrait conclure qu'il faudrait embaucher plus d'enseignants pour que les élèves puissent progresser dans des classes à petits effectifs. Pour que l'école corrige, ne serait-ce qu'un peu, ces inégalités, il faudrait que les moyens soient plus importants pour les enfants des classes populaires, et non pas l'inverse. Dans la plupart des mouvements qui touchent l'école, celui de mai-juin dernier comme ceux des années précédentes, ce sont ces revendications qui ont été mises en avant.

Mais les gouvernements, celui de Raffarin comme les précédents, font la sourde oreille. Ils mettent en avant l'importance du budget de l'Éducation nationale et le coût déjà trop élevé de l'éducation des élèves.

Or qu'en est-il? Une partie du rapport du Haut conseil de l'évaluation de l'école, intitulée "les coûts de l'éducation", avance le chiffre de 103,6 milliards d'euros consacrés à l'éducation en France, soit 7% du produit intérieur brut. Les dépenses d'éducation auraient progressé plus vite que le PIB (produit intérieur brut): 2,6% en moyenne, alors que le PIB n'aurait progressé que de 2,3% par an. Le coût individuel d'un élève aurait quasiment doublé depuis 1975.

Mais que masquent ces chiffres? Dans le calcul du "coût" moyen d'un élève, toutes les dépenses sont comptabilisées, y compris la construction des collèges ou des lycées. Le fait que le coût individuel d'un élève ait doublé depuis 1975 ne signifie donc pas que les moyens en personnel enseignant aient augmenté dans la même proportion. Cette façon d'évaluer ce que la collectivité (car c'est elle qui paie) dépense pour l'éducation de la jeunesse est perverse. Le gouvernement peut en tirer argument que l'augmentation des moyens ne servirait à rien puisque, malgré la progression des dépenses, la situation ne s'améliore pas. Le recteur de l'académie de Créteil était intervenu à peu près dans les mêmes termes, l'an dernier, lors d'une réunion où il tirait le bilan des résultats en Seine-Saint-Denis, alors que des moyens supplémentaires (insuffisants d'ailleurs par rapport aux besoins) avaient été obtenus à l'issue du mouvement de grève de 1998. Les chiffres avancés sur les coûts de l'école ne permettent de toute façon pas de se rendre compte de la disparité de situations. Les mesures de décentralisation prises par le ministre Defferre dans les années 1980 creusent des écarts, d'une région à une autre, d'une commune à une autre, dans l'attribution des moyens pour chaque élève. Et les mesures de décentralisation récentes prévues par Raffarin aggraveront encore ces inégalités.

A l'heure actuelle, si l'État est encore le principal payeur avec 64,5% du total, les collectivités locales financent à 21%. Les dépenses faites par élève peuvent varier en fonction des moyens que la collectivité locale peut, ou veut bien, consacrer à l'école. La moyenne des dépenses de fournitures et de manuels scolaires était, par exemple, de 38 euros par enfant dans les écoles primaires, à l'échelle nationale, en 2001, mais elle était bien inférieure, par exemple, dans la plupart des communes de Picardie (23 euros à Compiègne). Pourtant la Picardie, région ouvrière, est une des régions où les élèves ont le plus de difficultés: alors que la moyenne des jeunes qui sortent de l'école sans aucune qualification est de 8% au niveau national, elle est de 12% en Picardie. Il faudrait donc consacrer plus d'argent pour rattraper ce "retard".

Selon les experts du Haut conseil de l'évaluation de l'école, la France serait, parmi les pays riches, celui qui consacre le plus de moyens à l'Éducation, devant l'Allemagne, l'Espagne, le Royaume-Uni, l'Italie, ou les Pays-Bas, mais derrière les pays d'Europe du Nord et les États-Unis. On ne peut vérifier ce qui est comptabilisé. Mais, même si ce classement se révélait juste, quelle conclusion en tirer? Un gouvernement qui aurait à coeur de tout faire pour que tous les jeunes, et en particulier les jeunes des classes populaires, accèdent pleinement à l'éducation, devrait en conclure qu'il faut des moyens à la hauteur des difficultés, quel qu'en soit le prix, et que l'éducation de la jeunesse doit faire partie d'une priorité absolue.

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