Ukraine : Tensions à l'est et décomposition du pouvoir17/04/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/04/une2385.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : Tensions à l'est et décomposition du pouvoir

Jour après jour s'allonge la liste des villes de l'est de l'Ukraine où l'on annonce l'occupation, ici du bâtiment de la police politique, là du siège de l'administration régionale, ou encore d'un commissariat. Barricades, miliciens masqués et armés, tentes installées en centre-ville, petites gens qui semblent soutenir le mouvement, affrontements avec les forces spéciales...

On pourrait se croire revenu trois mois en arrière, quand les opposants à Ianoukovitch campaient sur le Maïdan à Kiev. Sauf que cette contestation-ci s'exerce contre le pouvoir issu du Maïdan, dont elle dénonce le nationalisme ukrainien et la soumission aux puissances occidentales. Et autre différence notable : elle ne dispose pas, c'est le moins que l'on puisse dire, de la sympathie des gouvernants et médias occidentaux.

Le gouvernement de Kiev traite de séparatistes, voire de terroristes, les activistes prorusses qui, outre qu'ils bafouent son autorité, réclament un référendum sur l'autonomie des régions de l'Ukraine orientale. Il ne parvient cependant pas à juguler cette agitation, même quand il fait donner la Garde nationale, recrutée parmi l'extrême droite antirusse. Pire encore pour lui, en recourant à la Garde nationale, il a reconnu ne pas pouvoir compter sur « sa » police, la police ordinaire, pour contrôler la partie la plus industrialisée du pays, celle dont dépendent un tiers de ses exportations et plus de la moitié de la richesse produite.

Bien forcé, le président ukrainien par intérim vient d'en prendre acte. Il a déclaré ne plus s'opposer à un référendum sur l'avenir de ces régions. Certes, il essaie de couper l'herbe sous le pied aux prorusses de l'est, et à Moscou qui se tient derrière eux, en semblant accéder à leur revendication. Mais cela affaiblit en même temps la position du pouvoir car, selon toute probabilité, ce référendum soulignera qu'une majorité des habitants de ces régions se défie du pouvoir central, voire le tient pour illégitime.

L'élection présidentielle, prévue le 25 mai pour remplacer Ianoukovitch chassé par la rue fin février, semble donc mal partie. Et plus encore son objectif, qui était de donner l'onction d'un vote national au futur chef de l'État. La fédéralisation du pays que réclament les « séparatistes » accorderait un pouvoir étendu aux régions, au détriment de l'État central, et l'autorité de ceux qui prétendent l'incarner en sortirait très affaiblie.

Avec le départ forcé de Ianoukovitch, la Russie de Poutine a perdu ce qui pouvait lui rester d'influence sur le pouvoir ukrainien. Mais elle a obtenu, avec l'acceptation plus ou moins résignée des grandes puissances occidentales, une sorte de lot de consolation : le rattachement de la Crimée, d'ailleurs souhaité par l'immense majorité de sa population. À cela s'ajoutait la déstabilisation de l'appareil d'État ukrainien, qu'ont favorisée les événements du Maïdan ; la faiblesse des nouvelles autorités pro-occidentales, contestées jusque dans leur propre camp ; le fait que leur échappe un bon tiers du pays, le plus riche, qui risque en outre de faire sécession alors que l'Ukraine est au bord de la faillite. Tout cela, le Kremlin peut espérer le mettre à profit afin de préserver certains de ses intérêts dans une Ukraine qui a basculé dans la sphère d'influence des puissances impérialistes.

En tout cas, loin des micros et caméras devant lesquels s'agitent leurs représentants, c'est ce qui se négocie en coulisses entre les États-Unis, l'Union européenne et la Russie. Les uns et les autres invoquent pour la galerie leurs grands principes : la défense de l'intégrité de l'Ukraine pour les Obama, Hollande, Merkel, Cameron et compagnie ; la défense des minorités russophones pour Poutine. Mais aujourd'hui, les masses populaires d'Ukraine sont prises en étau entre nationalismes opposés, et sommées de choisir un camp qui, quel qu'il soit, n'est pas le leur.

Pendant ce temps, l'actuel gouvernement ukrainien peaufine un plan d'attaques contre le niveau de vie des travailleurs. Il veut geler salaires et pensions des fonctionnaires alors que l'inflation s'envole, sabrer dans les dépenses sociales, supprimer certains services publics, doubler les tarifs de l'énergie, augmenter les impôts, fermer des entreprises dites non rentables...

S'en prendre aux travailleurs du public comme du privé, aux retraités, aux chômeurs et aux pauvres, voilà la feuille de route que ses parrains occidentaux ont fixée au nouveau pouvoir ukrainien. On comprend qu'une partie de la population, en particulier russophone, voie la Russie comme une protection, voire souhaite lui être rattachée, d'autant plus que le niveau de vie y est notoirement plus élevé. Mais, si en Ukraine le pouvoir des oligarques vomis par la population n'a pas disparu avec le changement d'équipe aux commandes, la Russie est elle aussi pillée par ses oligarques et sa caste dirigeante, une oppression sociale que protège le régime autoritaire de Poutine.

Alors, la situation qui ne cesse de se dégrader en Ukraine, les attaques qui se préparent contre la classe ouvrière la feront-elle réagir, indépendamment de la langue ou de l'origine de ceux qui la composent ? Il faut le souhaiter. Sinon, la population risque de se retrouver déchirée entre ses diverses composantes, sur fond d'aggravation dramatique de la situation économique et sociale. Car les grandes puissances ne lui feront pas de cadeau : elles n'ont rien d'autre à offrir à l'Ukraine et à ses travailleurs que d'énormes sacrifices pour le compte des banquiers et capitalistes ouest-européens et américains.

Partager