Il y a dix ans, Argentine : 19-20 décembre 2001, le krach de l'économie - désastre économique et riposte ouvrière30/12/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/12/une2265.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Il y a dix ans, Argentine : 19-20 décembre 2001, le krach de l'économie - désastre économique et riposte ouvrière

Il y a dix ans, les 19 et 20 décembre 2001, le krach de l'économie argentine entraînait la démission du président radical Fernando De la Rúa, chassé par la rue où confluaient la colère de la population des quartiers populaires et celle des classes moyennes à qui on interdisait l'accès libre à leurs comptes bancaires. La répression de cette révolte, unie par le mot d'ordre « Qu'ils s'en aillent tous ! », fit une trentaine de morts, tandis que le pays plongeait dans une crise profonde.

De la crise économique...

En 1983 avait pris fin la dictature militaire, remplacée par le gouvernement civil du radical Alfonsin. Mais la fin de sa présidence fut marquée par l'hyperinflation, les prix augmentant de près de 5 000 % en 1989 et encore 1 350 % l'année suivante. Lui succéda en 1989 le péroniste Menem qui, en « meilleur élève » du Fonds monétaire international, prônait le démantèlement des entreprises d'État et la privatisation de nombreux secteurs économiques : l'eau, l'électricité, le téléphone, mais aussi les retraites.

Pour enrayer l'hyperinflation, le peso argentin fut aligné sur le dollar. La parité entre les deux monnaies (1 peso = 1 dollar) fut effective à partir du 1er janvier 1992. Immédiatement, le taux d'inflation tomba sous la barre des 10 %. La croissance du PIB, négative dans les années 1980, dépassa 10 % et resta forte jusqu'en 1998. Cette stabilité apparente attira vers l'Argentine de grands groupes capitalistes, Carrefour, EDF, Ford, France Télécom, Suez, etc., qui entendaient participer à la curée des privatisations, ou simplement s'y implanter. On vit aussi les grands propriétaires terriens et les grandes entreprises argentines exportatrices de l'agro-alimentaire, qui auparavant laissaient leurs avoirs à l'étranger, rapatrier leurs réserves monétaires. Dans l'immédiat, le démantèlement des entreprises publiques amena de la trésorerie à l'État argentin et assez de stabilité pour assurer la réélection de Menem.

Le système de change était favorable tant que le dollar ne s'appréciait pas par rapport aux monnaies des pays avec lesquels l'Argentine commerçait. Opportunément, il avait été mis en place au moment où la Fed, la banque centrale nord-américaine, misait sur un dollar faible pour stimuler l'économie américaine. Mais la brutale remontée du dollar en 1998 mit en grande difficulté l'économie argentine, d'autant plus que la crise financière qui avait frappé l'Asie et la Russie gagnait l'Amérique latine. La montée du dollar, à laquelle s'ajoutait la dévaluation du real brésilien, bloqua les exportations. L'État fédéral argentin resta sans dollars, et donc sans ressources. Cependant les régions, elles, contournèrent le problème en créant des succédanés locaux de monnaie, comme le patacón, notamment pour payer les salaires de leurs employés.

... à la crise sociale

Revers du prétendu miracle argentin, la politique de privatisation et le démantèlement des entreprises publiques privèrent d'emplois des centaines de milliers de travailleurs, devenus chômeurs. Pour arracher aides et allocations, ils décidèrent de barrer les routes, dans un pays où le transport routier de marchandises joue un grand rôle. C'est ainsi qu'apparut le mouvement des piqueteros, déjà combatif bien avant le krach de 2001.

En 1999, la spéculation mondiale sur le dollar ayant redoublé, l'Argentine entra en récession. Menem perdit les élections au profit du radical Fernando de la Rua. En 2000, l'économie stagna et le chômage s'envola. Les manifestations de chômeurs redoublèrent. La pénurie de dollars, et donc de pesos, s'amplifiant, l'État central émit à son tour un succédané de monnaie, des reconnaissances de dettes appelées LECOP, diffusées dans le pays via le paiement des fonctionnaires. Près de 50 % de la masse salariale totale finit par circuler ainsi.

Le président radical, dépassé, finit par rappeler au gouvernement le ministre de l'Économie de Menem, Domingo Cavallo. Pour enrayer la fuite des capitaux des classes dirigeantes et des grandes entreprises, et le manque de liquidités, ce dernier annonça le 1er décembre 2001, la mise en place du corralito, mesure consistant à limiter les retraits bancaires à 250 pesos par semaine et interdisant tout envoi de fonds à l'extérieur. La ruée sur les banques que provoqua cette annonce fut fatale au système bancaire, incapable de faire face.

Le corralito provoqua la colère de la classe moyenne, coupée de son épargne, tandis que les classes populaires les plus démunies se ruèrent sur la nourriture dans les supermarchés. Les 19 et 20 décembre, il y eut une série de manifestations massives, réprimées dans le sang. Cavallo démissionna, imité par le président De la Rúa. Le péroniste Saá lui succéda pendant cinq jours, laissant à son tour sa place à un autre péroniste, Duhalde. Les banques furent fermées plusieurs jours pour stopper l'achat de dollars. Finalement, le 11 février 2002, le peso fut dévalué, entraînant l'appauvrissement général de la population.

Le krach de l'économie était là et la production s'effondra. Le chômage atteignit officiellement 24 %. De nombreuses PME mirent la clé sous la porte, provoquant une montée du chômage et même la faim dans les régions les plus déshéritées.

Le taux de pauvreté allait atteindre 57 %. Des enfants affamés, des femmes seules, des personnes âgées étaient réduites à la mendicité dans les rues.

Heureusement, la solidarité s'organisa. Les restaurants de la capitale prirent l'habitude de distribuer le soir la nourriture non vendue dans la journée ou de nourrir gratuitement des enfants. Des particuliers mirent à part la nourriture non consommée pour la distribuer aux plus pauvres. Des chômeurs organisèrent des boulangeries dans des locaux réquisitionnés. Il y eut ainsi une multitude d'initiatives locales. Environ 10 000 travailleurs de 150 PME décidèrent de poursuivre leur activité sans l'ancien propriétaire qui avait tout abandonné. Apparurent aussi les cartoneros qui, contre un peu d'argent, collectaient cartons et papiers dans les rues de la capitale.

Reprise économique et relance des luttes ouvrières

À l'échelon gouvernemental, face au désastre social, le gouvernement Duhalde dut créer une aide sociale versée en pesos. Il organisa aussi de nouvelles élections, amenant à la tête de l'État le péroniste Néstor Kirchner. Celui-ci prit le contre-pied de Menem en se positionnant au centre gauche, s'appuyant sur l'aile modérée des chômeurs, une partie des appareils syndicaux et le mouvement des Mères de la place de Mai, les mères des victimes de la dictature.

Kirchner allait surtout bénéficier, lui puis sa compagne Cristina qui lui succéda à la présidence, d'une conjoncture favorable. Le krach avait fait fuir les multinationales étrangères. Cela permit la relance de l'activité des entreprises argentines. La dévaluation stimula les exportations, permettant au secteur agro-alimentaire de rétablir sa prospérité, notamment grâce à la forte demande mondiale de soja. Tout cela allait conduire, dès 2003, à une reprise au rythme d'environ 8 à 9 % l'an.

Entre le début et la fin de cette année-là, le chômage tomba de 20 à 14 % (et à 7 % en 2010). Cette relance de l'économie ramena sur le marché du travail une génération de jeunes travailleurs, souvent combatifs, et entendant avoir leur part de la croissance. Depuis 2005, deux tiers des conflits sociaux ont concerné les salaires, pour imposer qu'ils suivent la hausse du coût de la vie, les grévistes n'hésitant pas au besoin à s'opposer à la bureaucratie syndicale.

Cette relance de la combativité, et l'expérience qu'elle représente pour les nouvelles générations ouvrières, pourraient être un gage pour l'avenir, face à une crise qui n'est plus seulement celle de l'Argentine, mais qui est devenue mondiale.

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