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Martinique : Les politiciens dans les starting-blocks du « pouvoir local »
En Martinique, des travailleurs sont récemment entrés en lutte pour faire respecter leurs droits ou en gagner de nouveaux. Il y a eu, ces dernières semaines, la grève des dockers intérimaires sur le port de Fort-de-France pour l'alignement de leur salaire sur celui de leurs collègues en fixe. Il y a eu aussi la grève des chauffeurs des sous-traitants du réseau de bus Mozaïk, dans et autour de Fort-de-France, pour l'alignement des conditions de travail et des salaires sur ceux des chauffeurs salariés directement par la régie. Une autre grève, de trois semaines, a eu lieu à l'hôpital de Trinité pour l'amélioration des conditions de travail et l'embauche de personnel, etc. Ces trois grèves se sont terminées par un succès des travailleurs, avec, pour les deux dernières, le paiement d'une bonne partie des jours de grève.
Mais ce qui fait la une de l'actualité est la prochaine consultation par référendum de la population sur l'avenir institutionnel de l'île, le 10 janvier 2010.
Ce référendum est la suite logique, constitutionnelle, du vote le 18 décembre 2008 de la majorité du Congrès, c'est-à-dire de la réunion des conseillers généraux, des conseillers régionaux et des parlementaires, pour un changement institutionnel. Les Martiniquais auront ainsi le choix entre passer à un fonctionnement sur la base de l'article 74 de la Constitution (vote oui) ou rester dans le cadre de l'article 73 (vote non). Dans le cas d'une victoire du non, les électeurs seront conviés à un second référendum, le 24 janvier, pour ou contre la création d'une assemblée unique regroupant le Conseil général (département) et le Conseil régional (région), ce que le gouvernement veut d'ailleurs réaliser bientôt dans toute la France.
Le monde politique est donc partagé entre les 74istes du RMC (Rassemblement martiniquais pour le changement), emmenés par le ci-devant indépendantiste Alfred Marie-Jeanne, du MIM (Mouvement pour l'indépendance de la Martinique), président du Conseil régional, et les 73istes, la droite, mais aussi la fédération martiniquaise du Parti Socialiste et surtout le MAP (Mouvement des autonomistes et des progressistes), derrière Serge Letchimy du PPM (Parti progressiste martiniquais, fondé par Aimé Césaire). Si le 74 l'emporte, la Martinique deviendra une « collectivité » au lieu d'être un département, où les notables pourront obtenir des compétences élargies pour un pouvoir local, dans le cadre d'une loi organique, à voter à Paris par le Parlement. Dans le 73, les lois et règlements nationaux sont applicables de plein droit, sous réserve de quelques aménagements et des habilitations spécifiques, d'une durée de deux ans, constituant là aussi une forme de pouvoir local, et encadrés également par une loi organique.
À part pour les politiciens engagés dans un camp ou un autre, qui attendent du résultat des retombées dans leur développement de carrière, les différences entre 73 et 74 sont donc minces. Et pour les travailleurs, si le camp du 74 est apparu au début, et apparaît encore dans une certaine mesure, comme celui du changement, le sentiment est plutôt maintenant qu'on leur demande de choisir entre Marie-Jeanne et Letchimy. La méfiance des travailleurs est palpable. Surtout vis-à-vis de Marie-Jeanne, qui apparaît comme un arriviste obnubilé depuis des années par son futur pouvoir local. Le dirigeant du MIM, jouant le de Gaulle au petit pied, a évoqué sa possible démission du Conseil régional en cas d'échec du 74 : « Je ne continuerai (sic) pas longtemps à transporter de l'eau dans un panier percé. » La menace n'a pas impressionné grand monde !
Mais soutenir Letchimy en votant 73 ne suscite pas non plus un grand enthousiasme. Comme maire de Fort-de-France, il a eu l'occasion d'apparaître étranger aux aspirations des salariés, ne serait-ce que des employés municipaux.
Alors, puisque de toute façon on va vers une certaine dose de pouvoir local, il faudrait qu'au moins ceux qui l'incarneront aient à prendre des engagements devant les travailleurs. Ils veulent des compétences ou des habilitations nouvelles, mais s'en serviront-ils pour faire baisser les prix, alléger l'imposition des salariés, etc. ? Ou bien tous les profiteurs-voleurs pourront-ils continuer, comme aujourd'hui, à s'en donner à coeur joie ?
Dans quelques réunions d'entreprise et des assemblées syndicales, ces questions ont été posées. Il est dans l'intérêt des travailleurs de continuer, de bousculer, en faisant entendre leur voix propre, l'opération préparée conjointement par le gouvernement et les notables locaux.