Liban : Victoire électorale d’un milliardaire02/06/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/06/une1922.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Liban : Victoire électorale d’un milliardaire

À en croire les medias et hommes politiques français, le départ des troupes syriennes du Liban devait permettre de faire souffler sur ce pays le vent d'une véritable révolution démocratique, permettant enfin aux Libanais d'être maîtres de leur destin. Eh bien, à en juger par le premier acte des élections législatives qui s'est déroulé le 29 mai, il faudra que ce vent souffle encore très fort.

Si la présence des troupes syriennes était un problème, de toute évidence les moeurs et les combines des politiciens libanais eux-mêmes en sont un au moins tout aussi grave. Dans la meilleure tradition des pratiques de clan qui marquent la politique libanaise, c'est Saad Hariri, fils de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri assassiné le 14 février, qui a remporté la totalité des sièges en compétition à Beyrouth le 29 mai. Les semaines précédentes avaient été marquées par d'intenses tractations pour constituer les listes, de telle sorte que les jeux étaient faits d'avance. Neuf des dix-neuf élus l'ont même été d'office, n'ayant pas eu de concurrents. 27% seulement des électeurs se sont rendus aux urnes, dans un climat que la presse décrit comme celui du désenchantement.

Au Liban chaque citoyen est recensé comme faisant partie d'une confession déterminée parmi les dix-sept courants chrétiens ou musulmans recensés. Les élections législatives ont lieu sur cette base confessionnelle. Le territoire est divisé en circonscriptions, auxquelles des sièges sont attribués en fonction de cette appartenance: par exemple trois chrétiens maronites, deux musulmans chiites, deux musulmans sunnites, un druze et un grec orthodoxe pour telle circonscription élisant neuf députés.

Le principe de ce découpage remonte à l'époque du mandat français, de 1920 à 1943, alors que la France était la puissance coloniale dominant ce pays. Non contentes d'avoir créé le Liban de toutes pièces en le détachant de la Syrie voisine avec laquelle jusqu'alors il ne faisait qu'un, les autorités coloniales ont pérennisé un partage du pays lui-même selon des clivages religieux. Il s'agissait de diviser pour régner, en spéculant sur le fait que les chrétiens du Liban, se sentant menacés par l'entourage musulman, se feraient les alliés de la puissance coloniale.

Aujourd'hui, plus de soixante ans après l'indépendance du pays en 1943, cette division est encore là. Après avoir été à la base d'une guerre civile meurtrière et destructrice qui a duré de 1975 à 1990, elle marque toujours la vie politique. Elle fournit une base à toutes les combines politiciennes, les clans les plus riches et les plus influents s'érigeant en représentants patentés de chaque communauté. Dans le cas présent, Saad Hariri, disposant de l'aura et surtout des fonds de son milliardaire de père, a négocié la constitution de listes comportant des chrétiens, des musulmans sunnites comme lui-même, des musulmans chiites et d'autres communautés, correspondant à la composition confessionnelle des dix-neuf députés à élire à Beyrouth. Des négociations du même ordre ont eu lieu pour les autres circonscriptions du pays, dans lesquelles les élections auront lieu au cours des trois prochains dimanches, de sorte que l'on connaît pratiquement les noms des 128 députés élus, avant même qu'ils ne le soient. Dans un bon nombre de cas, ils seront même élus d'office faute de concurrents. La seule inconnue est peut-être le résultat des listes que réussira à constituer le général Michel Aoun, pion attardé de l'impérialisme français revenu récemment de quinze années d'exil en France et qui cherche à apparaître comme le héros du vieux Liban chrétien maronite.

Saad Hariri, 35 ans et fils de milliardaire, symbolise bien le pouvoir de l'argent qui marque la politique libanaise. Son père Rafic Hariri, que les manifestations des derniers mois ont célébré comme le «reconstructeur» du Liban, a exclusivement reconstruit le Liban des banques, celui des financiers richissimes brassant les milliards des monarchies du Golfe et contrôlant les transactions d'une bonne part du Moyen-Orient, et celui de ses politiciens corrompus. La seule nuance avec le passé est que ce grand capital est maintenant majoritairement musulman sunnite, à l'image de Saad Hariri et de son clan, plutôt que chrétien maronite. Cela ne change rien pour les masses pauvres libanaises, de quelque confession qu'elles soient, ni pour les Palestiniens parqués dans des camps bidonvilles à la lisière des villes ni pour les ouvriers syriens immigrés au Liban, qui sont en butte au mépris et même, depuis des mois, à des actions punitives xénophobes qui ont abouti, en quelques semaines, à la mort de soixante d'entre eux.

Les troupes syriennes sont parties du Liban, mais en fait de démocratie c'est le pouvoir de cette oligarchie financière qui demeure; une oligarchie que le régime syrien n'avait d'ailleurs pas touchée même si aujourd'hui elle pose à la victime et à l'héroïne de la résistance nationale.

C'est avec elle et avec ses soutiens impérialistes que les masses pauvres devront régler leurs comptes, en mettant fin au passage à toutes les divisions entretenues par l'impérialisme; non seulement les divisions entre les différentes confessions libanaises, mais aussi la division absurde entre Liban et Syrie et le partage aberrant du Moyen-Orient hérité de l'époque coloniale.

Partager