L’État français veut exporter l’amiante du Clemenceau02/06/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/06/une1922.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

L’État français veut exporter l’amiante du Clemenceau

La manière dont l'État français a décidé d'envoyer à la casse en Inde le porte-avions Clemenceau, bourré d'amiante, illustre comment les responsables des pays riches se débarrassent de leurs déchets toxiques dans les pays du Tiers Monde.

Mais cette fois cela ne se passera peut-être pas si facilement. Plusieurs associations ont éventé l'affaire, dont l'Andeva, l'association des victimes de l'amiante. Elles ont obtenu en justice une première victoire le 22 avril dernier, avec la communication du contrat liant le ministère de la Défense à une société panaméenne filiale du trust allemand Thyssen, à la suite de quoi elles réclament l'annulation pure et simple de l'opération.

Sur le Clemenceau, comme sur tous les navires de son époque, l'amiante était omniprésent. À l'arsenal de Brest où il fut fabriqué entre 1955 et 1957, la Direction des Constructions Navales faisait travailler des milliers d'ouvriers dans un brouillard de fibres d'amiante. La nocivité du produit était connue au moins depuis 1906, mais qu'importait! L'amiante, c'était «l'or blanc», qui rapportait aux trusts qui le produisaient et permettait de faire des économies à ceux qui l'utilisaient. Bien des travailleurs l'ont payé de leur vie, victimes de cancers de la plèvre et de maladies qui se sont déclarées des dizaines d'années plus tard. C'est aussi le cas de centaines de marins ayant servi à bord. Mais, non content d'avoir empoisonné ceux qui ont construit le navire puis ceux qui ont navigué dessus, l'État français s'apprête à agir de même avec ceux qui auront la charge de son démantèlement.

Il y a deux ans, une première tentative avait été faite en ce sens. Désarmé en 1997, le navire avait été cédé en 2003 à une entreprise espagnole. Celle-ci était censée le désamianter dans un chantier des Asturies, mais le navire fut dérouté vers la Turquie! Sans doute l'intention était-elle de le faire démanteler dans ce pays, sans véritable opération de désamiantage. Manque de chance, le porte-avions fut repéré avant d'atteindre les côtes turques et, après quelques escales incertaines, il dut réintégrer Toulon.

Bon gré, mal gré, la Direction des Constructions Navales fut obligée de prendre en charge ce désamiantage dont elle espérait faire l'économie. Mais pas totalement! Il reste aujourd'hui 20 tonnes d'amiante sur ce navire, dans les endroits qui ne seront accessibles qu'une fois la carcasse mise en pièces. C'est cette opération, coûteuse dans les conditions de sécurité qui sont imposées en France, qu'elle ne veut pas effectuer. L'État a donc choisi de faire expédier ce qui reste du navire vers la baie d'Alang en Inde, pays où l'amiante n'est pas reconnu comme nocif. Dans ce cimetière de bateaux, des navires venus du monde entier sont démantelés au chalumeau par plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers qui travaillent sans autre protection qu'un foulard et un casque, au milieu de matières toxiques et parfois explosives. Les débris sont transportés sur la plage avec les moyens du bord, souvent à main nue. «L'amiante est partout» écrit le toxicologue de l'Andeva, Henri Pézerat. Ces travailleurs vivent dans des bidonvilles construits sur un sol complètement pollué. Les armateurs du monde entier s'y débarrassent de leurs vieux rafiots, sans s'embarrasser de problèmes de sécurité.

L'État français, coupable de la mort de milliers de travailleurs dans ses arsenaux, n'a pas renoncé à ses pratiques d'empoisonneur. Simplement, il les exporte dans les régions les plus pauvres de notre planète.

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