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Leur société
Sécurité sociale : Des sales coups préparés en coulisse
Le ministre de la Santé, Douste-Blazy, a présenté son projet de réforme de la Sécurité sociale mardi 4 mai devant la mission parlementaire constituée sur le sujet. Mais, prudent à un mois des élections, il a évité de faire des annonces précises, hormis celle de la date des négociations avec les syndicats, et en particulier il n'a pas dévoilé le volet financier. Le ministre semble faire traîner en longueur afin de faire voter sa réforme le plus tard possible. Ainsi, selon le journal Les Echos, «les derniers arbitrages ne seront pas rendus avant fin mai». Autrement dit, il faut s'attendre à ce que les mauvais coups soient réservés pour passer «en douce» durant les mois d'été.
Brouiller les pistes
La dernière trouvaille du ministre de la Santé est la réforme de la carte Vitale. Se référant à un rapport qui vient de lui être remis, le ministre a estimé que 10 millions de cartes vitales étaient en surnombre. Selon lui, «il y a 48 millions de Français de plus de 16 ans, chacun a droit a une carte Vitale, et c'est très bien, mais il y a 58 millions en tout de cartes Vitale, parce que le système n'est pas géré». Sur le thème de la chasse aux abus, on a pu l'entendre citer l'exemple de la carte Vitale d'un assuré atteint d'un cancer qui aurait servi vingt fois à des frères, des soeurs, des cousins. Et d'annoncer qu'au prochain renouvellement de cette carte Vitale, dans un an, un an et demi, elle comportera une photo de son titulaire.
Même le secrétaire de la CFDT, Chérèque, pourtant prompt à soutenir le gouvernement, a qualifié cette mesure de «solution gadget», en rappelant que la Caisse nationale d'assurance maladie, la CNAM, avait déjà proposé au ministère de la Santé de mettre cette photo. «Le ministère l'a alors refusée parce que cela coûte plus cher que les économies qui vont venir», a précisé Chérèque. La dépense occasionnée par ce changement de cartes pourrait en effet être de 100 à 300 millions d'euros.
Sur la même chaîne de télévision, lundi 3 mai, le ministre a proposé pour chaque assuré un «dossier médical informatisé». Ainsi, a-t-il poursuivi, «en quelques secondes, le médecin pourra savoir exactement quels sont les actes médicaux qui ont été prescrits, les médicaments prescrits, les antécédents du malade, etc. (...) Si les actes médicaux ne sont pas mis sur le dossier médical, ils ne seront pas remboursés.» Et de citer comme exemple celui d'une grossesse normale, pour laquelle seules les trois échographies jugées nécessaires seront prises en charge; au delà, la patiente en sera de sa poche.
Toutes ces déclarations s'intègrent dans une campagne sur les «abus» dont serait victime la Sécurité sociale de la part des assurés, et sur la faillite qui menacerait le système de santé. Le montant du trou de la Sécu augmente d'une déclaration à une autre. Le ministre de la Santé estime maintenant ce déficit à près de 14 milliards d'euros. Mais il y a quelque temps, le gouvernement parlait de 12 milliards.
Faire avaler les sacrifices
Même si Douste-Blazy n'a pas révélé le volet financier de sa réforme, toute la presse commente déjà les mesures qu'il pourrait prendre. Sans surprise, comme toutes les réformes qui ont été faites par tous les gouvernements depuis vingt ans pour combler les déficits successifs, il s'agirait de faire payer encore plus les salariés, qui supportent déjà l'essentiel du financement de la Sécurité sociale. Il pourrait être question d'augmenter la contribution sociale généralisée, la CSG. Cet impôt, créé par le socialiste Rocard en 1991, rapporte plus de 8 milliards d'euros, alors qu'il touche déjà les revenus des salariés à hauteur de 7,5%, et que même les revenus des chômeurs et des retraités sont ponctionnés, à hauteur de 6,2%. Il pourrait aussi être question de prolonger la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, créée en 1996 par Juppé, et qui était en principe destinée à disparaître en 2008, impôt prélevé à hauteur de 0,5% sur la quasi-totalité des revenus.
Parallèlement à l'augmentation des prélèvements, le gouvernement cherche à diminuer les dépenses de santé, dont l'augmentation de 6,1% l'an dernier est présentée comme une catastrophe. Il est pourtant normal qu'à notre époque, où des progrès importants dans le domaine médical ont été faits, les dépenses consacrées à soigner la population augmentent. De plus, les solutions qui pourraient être envisagées pour faire face à ces dépenses, déremboursements de nouveaux médicaments, restrictions sur les analyses, les radios et autres, pénaliseraient évidemment là encore essentiellement les classes populaires.
Deux poids, deux mesures
Ce trou de la Sécurité sociale, estimé à 14 milliards d'euros, est qualifié d'«abyssal» par le ministre de la Santé. Mais personne à l'Elysée ne dénonce l'abus que constituent les milliards d'euros de bénéfices des trusts pharmaceutiques -4,5 milliards d'euros de bénéfices nets estimés en 2003 pour le seul groupe Sanofi-Aventis- qui se font pourtant bien sur le dos de la Sécurité sociale. Douste-Blazy, qui crie au scandale pour le soi-disant surnombre de cartes Vitale, reste en revanche bien discret sur ce fait que les recettes de la Sécurité sociale reposent de plus en plus sur les seules cotisations des salariés, car celles de patrons ne cessent de diminuer.
Il serait logique et juste que l'État intervienne pour que cette somme de 14 milliards d'euros, considérée comme «modeste» par les capitalistes eux-mêmes, en comparaison de celles consacrées à des opérations de fusion, qui plus est inutiles pour la société, soit prise sur leurs très confortables profits, et non dans la poche des salariés. Il serait par ailleurs tout aussi normal et juste que les cotisations patronales augmentent.
Telle n'est pas la logique du gouvernement et des patrons. Mais c'est celle des salariés, qu'il faudra bien leur imposer.