Chine : Le prétendu miracle économique06/05/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/05/une1866.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Chine : Le prétendu miracle économique

Les auteurs du dernier rapport de la Banque Mondiale décrivent une situation de plus en plus catastrophique pour la plupart des pays du Tiers Monde. Obligés de reconnaître que la misère s'accroît, ils croient pouvoir relever une exception de taille: la Chine, qui connaît une croissance économique aujourd'hui exceptionnelle. Mais les chiffres publiés ne donnent encore qu'une faible idée de l'extension de la pauvreté.

Pour l'Afrique, le constat de la Banque Mondiale est accablant: dans les pays situés en dessous du Sahara, l'espérance de vie est passée de 48 ans en 1980 à 46 ans en 2002, sans perspective d'une amélioration car plus de 40 millions de personnes sont atteintes du sida. Le produit intérieur brut ayant baissé de 15%, la pauvreté, elle, a augmenté de plus de 80%: le nombre de personnes gagnant moins de 1 dollar par jour est passé de 164 à 314 millions, ce dernier chiffre correspondant à près de la moitié de la population. Et plus des trois quarts des gens ne disposent pas d'un minimum de 2 dollars par jour.

Cependant, il ne faut pas attendre d'un tel rapport officiel des indications sur les causes réelles d'une telle catastrophe, notamment l'aggravation des inégalités et l'envol des bénéfices recueillis par les sociétés multinationales, parmi lesquelles nombre de sociétés françaises, qui continuent le pillage du continent organisé depuis le début de la colonisation.

Pour la Chine, au contraire de l'Afrique, selon la Banque Mondiale, la pauvreté serait en recul, du seul fait de la «croissance économique» qui aurait atteint 8% l'an dernier. Son PDG vient même d'annoncer la tenue, à Shanghai en mai, d'une conférence mondiale sur «la lutte contre la pauvreté», pour recommander aux autres pays l'expérience acquise par la Chine.

Cependant, certains doutent déjà que cette croissance dure bien longtemps, évoquant les risques de «surchauffe», dans l'industrie automobile notamment. Mais même si cette croissance se prolongeait, à quoi conduirait-elle?

Selon la Banque Mondiale, le développement des entreprises privées a fondamentalement consolidé la base de l'économie chinoise et fourni des opportunités d'emploi aux pauvres. Mais la réalité est différente. La misère s'aggrave dans les campagnes et les inégalités se creusent dans les villes. Selon une enquête réalisée en 1997, 1,3% des familles urbaines de Chine contrôlaient à elles seules près du tiers de la richesse, tandis que 44% de familles aux revenus les plus bas n'en possédaient que 3%. De plus, celles-ci voient encore leur situation s'aggraver. Le chiffre de croissance moyenne est donc trompeur, masquant des réalités différentes, et notamment le fossé qui se creuse entre riches et pauvres.

Par exemple la ville de Shanghai, souvent citée en exemple du miracle chinois, accueille 56 sièges de sociétés multinationales, 91 sociétés d'investissement, et elle est soumise à une fièvre de l'immobilier. Tout cela est certainement bon pour les chiffres de la croissance économique, d'autant qu'ils ne prennent pas en compte le drame subi par les personnes expropriées de leur logement. Or, elles sont sans doute 2,5 millions à avoir connu cette situation depuis le début des années 1980, sur la dizaine de millions d'habitants des arrondissements de centre-ville. Jusqu'à ces dernières années, le logement était resté en principe gratuit ou presque pour les salariés; la situation, il est vrai, n'était pas idéale car les salaires étaient très bas et l'argent manquait pour l'entretien des immeubles. Mais aujourd'hui les habitants de ces quartiers, expulsés souvent par la violence quand des bulldozers sont intervenus en leur absence ou en pleine nuit, se retrouvent dans de lointaines banlieues ou carrément sans toit pour faire place nette aux promoteurs.

Dans le bâtiment, comme dans les autres secteurs, les conditions de travail sont épouvantables. Dans l'industrie de la chaussure par exemple, les horaires peuvent aller jusqu'à 80 heures hebdomadaires et une partie des salaires est retenue par les patrons. Dans les usines de jouets, la journée normale est de 8 heures, mais le nombre de pièces à réaliser par heure est si élevé que la plupart des salariés sont contraints de travailler entre 10 et 16 heures par jour, 6 ou 7 jours par semaine. Et pour mieux contrôler les travailleurs, les patrons ont installé des dortoirs dans les usines, ce qui revient à séquestrer les ouvriers, et vont jusqu'à infliger des violences physiques.

La «croissance économique» s'accommode également fort bien de celle du chômage. La population dite «flottante», composée d'anciens travailleurs des usines d'État mises en faillite et d'anciens paysans qui ne pouvaient plus survivre dans les campagnes, est estimée entre 80 à 150 millions de personnes. Privés d'allocations de logement, de droits au chômage et d'accès aux soins médicaux, certains sont prêts à tout dans l'espoir de trouver du travail en ville. Ils doivent d'abord s'acquitter d'un permis de quitter leur région avant de payer un permis de résidence temporaire, un permis de travail et une caution en échange d'un poste de travail.

Il est à souhaiter que ces travailleurs, contraints d'en passer par les conditions patronales, confrontés à la dure réalité de l'exploitation capitaliste, deviennent le ferment d'une reconstitution du mouvement ouvrier chinois, écrasé il y a soixante-quinze ans, à la fin des années vingt.

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