Accord Inde-Bangladesh : les absurdités du nationalisme10/06/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/06/2445.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Accord Inde-Bangladesh : les absurdités du nationalisme

Le 7 juin 2015, l’Inde et le Bangladesh se sont mis d’accord pour simplifier leur frontière héritée de l’époque coloniale : une cinquantaine de villes bangladaises se trouvaient enclavées en territoire indien et une centaine de villes indiennes en territoire bangladais. Les deux pays vont échanger leur souveraineté sur ces enclaves et permettre à leurs habitants de choisir leur nationalité. Mais cette mesure de bon sens n’est qu’une manœuvre de plus dans un conflit insoluble.

À l’époque coloniale, les autorités britanniques en Inde ont longtemps exacerbé l’opposition entre les populations musulmanes et hindouistes, en vertu de la célèbre formule « diviser pour régner ». Dans les années 1930, les politiciens nationalistes indiens qui se partageaient les miettes de pouvoir accordées par le colonisateur ont cyniquement profité de ces différences religieuses pour faire carrière. Ils les érigèrent en différences nationales, voire raciales, se proclamant chacun, qui le représentant de la « nation musulmane », qui de la « nation hindoue ». Finalement, en 1947, lorsque l’impérialisme britannique s’est résolu à accorder l’indépendance à ses possessions en Asie du Sud, il organisa leur partition en deux territoires rivaux : le Pakistan et l’Inde. Le Pakistan regroupait deux régions à majorité musulmane situées à 2 000 km l’une de l’autre, de chaque côté de l’Inde à majorité hindoue. Le dessin de cette frontière fut confié à un certain Cyril Radcliffe, qui traça à la hâte une ligne de démarcation dont on dit qu’elle coupait non seulement des villes, mais parfois même des maisons en deux. Depuis, l’Inde et le Pakistan se trouvent dans un état de guerre quasi permanent.

La naissance du Bangladesh en est une des conséquences. En 1971, l’Inde intervint militairement pour aider le morceau oriental du Pakistan à gagner son indépendance sous le nom de Bangladesh. Elle gagnait ainsi un allié... avec lequel néanmoins elle partageait toujours l’imbécile frontière Radcliffe et qui était toujours aussi majoritairement musulman qu’avant ! Or l’Inde se présente depuis sa naissance comme « une grande démocratie pluriethnique » victime du séparatisme de sa minorité musulmane, ce qui justifie de la traiter en ennemie de l’intérieur (et les Bangladais enclavés n’ont pas échappé à ce soupçon). De son côté, le Pakistan a beau jeu de se poser en unique défenseur des musulmans. Ces mythes nationaux ont une importance considérable pour les bourgeoisies locales : elles s’en servent pour contraindre les masses très pauvres de leurs pays à serrer les rangs autour d’elles. De surcroît, les États-Unis et la Chine (côté musulman) et la Russie (côté hindouiste) ont profité de ce conflit pour étendre leur influence dans la région. Face à ces enjeux, le sort des 100 000 apatrides de la frontière indo-bangladaise n’a guère pesé pendant 68 ans.

Début juin, le gouvernement pakistanais a renforcé sa légitimité parmi les musulmans vivant dans la province du Gilgit-Baltistan revendiquée par l’Inde, en y organisant des élections. Le récent accord avec le Bangladesh est donc probablement une réponse du berger à la bergère de la part du gouvernement indien, qui consolide ainsi ses liens avec les musulmans de sa frontière est. Une étape de plus dans un conflit qui, d’épurations ethniques en incidents frontaliers, d’insurrections en guerres ouvertes, a fait près de deux millions de morts et déplacé des dizaines de millions de personnes. Et qui n’aura pas de fin tant qu’existeront les nationalismes indien et pakistanais.

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