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Leur société
Les leçons du deuxième tour
Tout en étant inférieur par rapport au premier tour, le taux d'abstention au second tour des élections régionales a encore été particulièrement élevé. De 53,6 % le 14 mars, l'abstention a certes baissé à 48,9 % le 21 mars, mais en restant de 15 % supérieure à celle des régionales de 2004. L'électorat qui s'est un peu remobilisé entre les deux tours est principalement l'électorat de droite, celui de ces « bons citoyens » votant systématiquement à droite mais qui, au premier tour, las des frasques de Sarkozy, de ses zigzags politiques, de ses « ouvertures à gauche », sont restés chez eux.
Dans les départements et surtout les villes populaires, l'abstention n'a guère changé. Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, par exemple, reste parmi les champions de l'abstention, et si le taux a baissé entre les deux tours, passant de 71,48 % à 68,69 %, la baisse est faible et inférieure à la moyenne nationale. La part abstentionniste de l'électorat populaire du premier tour ne s'est pas plus mobilisée au deuxième.
Chose nouvelle cependant : la remobilisation de l'électorat de droite ne s'est pas faite uniquement ni même principalement au profit de l'UMP. Dans les élections à deux tours précédentes, là où le FN avait pu rester en lice, provoquant des triangulaires, ses résultats en général avaient été inférieurs au deuxième tour par rapport au premier. Une partie de l'électorat de droite, qui se servait au premier tour du vote FN pour exprimer son mécontentement, retournait au bercail au deuxième tour, ne serait-ce que pour ne pas favoriser la gauche.
Pas cette fois-ci. Dans chacune des douze régions où le FN a pu rester au deuxième tour et provoquer des triangulaires, ses résultats ont progressé.
En clair, ceux de l'électorat de droite qui se sont abstenus au premier tour mais qui avaient l'intention de voter contre la gauche au deuxième l'ont fait en partie en votant pour la liste FN. Une façon encore de dire à Sarkozy que, s'ils étaient bien des gens de droite, ils n'avaient pas pour autant envie de lui donner un quitus.
Le retour électoral du Front National
Si l'on fait le bilan des deux tours des élections, Le Pen a retrouvé en grande partie les électeurs que Sarkozy lui avait siphonnés pour se faire élire en 2007. Pas totalement cependant. Même dans le cas des deux vedettes du parti, le père et sa fille, le nombre de voix obtenues en PACA et dans le Nord-Pas-de-Calais, s'il a progressé entre le premier et le deuxième tour, passant de 224 871 à 301 201 pour Marine Le Pen, reste encore inférieur aux 336 433 voix de 2004. Même chose en PACA, où Jean-Marie Le Pen est passé, entre le premier et le deuxième tour, de 296 283 à 387 481 voix. Cela reste encore légèrement inférieur aux 409 685 voix de 2004.
Ces chiffres indiquent cependant que, lorsque Sarkozy prétendait avoir fait disparaître l'électorat de Le Pen en l'intégrant au sien, il sollicitait et travestissait les faits. L'électorat d'extrême droite n'a pas disparu lors de la présidentielle de 2007, il avait seulement choisi, à ce moment-là, de se faire représenter par Sarkozy, qui tenait le langage le plus proche de celui de Le Pen avec, en plus, une forte chance de se faire élire.
L'électorat d'extrême droite se retrouve donc, de nouveau, derrière le FN. En nombre moins important qu'en 2004 ? Certes. Mais ce n'est que l'aspect arithmétique des choses.
Même en votant pour Sarkozy, il a pesé sur la vie politique et sur la vie sociale. Son retour au bercail du FN pourrait être un événement superficiel mais, avec la crise, il n'est pas dit que cela le restera.
Les consultations électorales ne donnent qu'une image très déformée de l'évolution de l'opinion publique. Mais elles en donnent quand même une.
Derrière le retour du FN sur la scène politique, il n'y a pas seulement la déception à l'égard de Sarkozy. Il y a, plus profondément, un mécontentement social venant en partie de la petite bourgeoisie - paysans, petits patrons touchés par la crise, commerçants, et en partie des couches populaires déshéritées et désorientées. Aussi proches que soient les langages respectifs de Sarkozy et de Le Pen, ce ne sont pas tout à fait les mêmes, et ce n'est pas non plus le même rapport avec les institutions (quand bien même c'est bien malgré lui que le FN s'en tient à l'écart). Le glissement de l'un à l'autre, même si c'est un « retour aux sources », peut avoir une signification plus profonde en cette période d'aggravation de la crise.
Ce n'est pas l'arithmétique électorale qui contient une menace pour les travailleurs, mais l'évolution de la crise elle-même et la réaction d'une partie de la petite bourgeoisie face aux conséquences de cette crise.
Quand la gauche, de plurielle, se transmute en solidaire et agite déjà la présidentielle
L'Humanité, se faisant l'écho des positions du PC, s'écrie, indignée, à la une d'un de ses numéros au lendemain du deuxième tour, que « Nicolas Sarkozy reste sourd au message des urnes. Retraite à 60 ans, salaires, services publics », en insistant, à la page suivante : « Désavoué, Sarkozy ne veut rien entendre ». Cette indignation est doublement stupide. D'abord parce que leur démocratie, la démocratie bourgeoise, est bien ficelée pour permettre à Sarkozy et aux siens d'affirmer qu'il a été élu pour cinq ans et qu'il n'a pas à tenir compte du « message des urnes » d'une élection intermédiaire. Mais aussi parce que Sarkozy n'a nullement à s'inquiéter du « message des urnes », en tout cas pas tel que l'interprète la gauche réformiste, tout émoustillée d'avoir conservé la direction de la quasi-totalité des Conseils régionaux.
C'est ce qu'a très bien exprimé un éditorial du Figaro en affirmant : « Ce n'est donc pas de la gauche unie que vient le vrai danger pour le président, mais de l'exaspération de nombreux électeurs de droite qui, pêle-mêle, ne comprennent pas : l'ouverture à gauche, la surenchère écologiste symbolisée par la taxe carbone... » Et plus significative encore est la conclusion qu'en tire l'éditorialiste en décrivant la « feuille de route » qu'il estime nécessaire : « Compenser l'ouverture à gauche par l'ouverture à toutes les sensibilités de la majorité ; recentrer les réformes sur l'essentiel : retraites, dépendance, refonte des collectivités locales ; saisir à bras-le-corps le problème de la dette et des déficits par une chasse impitoyable aux dépenses publiques improductives ; rétablir la compétitivité des entreprises par la baisse des charges en plus de la suppression, heureuse, de la taxe professionnelle ; durcir la politique de l'immigration et la répression contre les sans-papiers ; renforcer la politique de sécurité... » Cette analyse d'un journal de droite sonne comme un avertissement pour les travailleurs. Par là même, elle est plus précieuse que les mièvreries de L'Humanité !
Si Sarkozy tire une conclusion du résultat des élections, ce n'est sûrement pas pour trembler devant les Conseils régionaux de gauche, mais pour aggraver sa politique antiouvrière, à commencer par l'attaque contre les retraites, à continuer par des mesures d'austérité pour tenter de régler, au détriment des classes populaires, le « problème de la dette publique », envolée en raison des milliards offerts aux banquiers et aux groupes capitalistes.
Bien au-delà des affirmations d'un éditorialiste du Figaro, bien au-delà même de l'aspiration de Sarkozy à reconquérir son électorat de droite, il y a la réalité économique et sociale. Il y a la crise. Il y a le fait que le patronat ne peut espérer sauvegarder ses profits qu'en écrasant toujours plus les conditions d'existence de la classe ouvrière. Et cette réalité pèse bien plus que l'optimisme béat et impuissant de la gauche réformiste, repartie en campagne en brandissant le faux espoir d'une « Gauche solidaire » arrivant à la présidence de la République.
Pendant que la droite sonne le tocsin d'une guerre plus ouvertement déclarée contre les exploités, ceux qui se posent, de moins en moins d'ailleurs, comme les représentants des travailleurs invoquent une fois de plus les élections futures. La réaction des travailleurs, indispensable, urgente, ne viendra pas de la gauche, mais malgré elle et, si demain elle revient au pouvoir, peut-être contre elle !