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Editorial
Quand modernisation signifie régression
À entendre les commentaires des organisations patronales et du gouvernement, les négociations entre organisations patronales et syndicats de salariés sur la " modernisation du marché du travail ", qui se sont terminées vendredi 11 janvier, auraient abouti à un texte qui serait bénéfique pour tout le monde. Il apporterait plus de flexibilité aux entreprises, et plus de sécurité aux travailleurs. C'est évidemment faux.
Le point capital de ce texte, c'est d'accéder aux demandes du patronat, qui réclamait depuis longtemps, à côté de la démission et du licenciement, une nouvelle modalité de rupture du contrat de travail, la rupture à l'amiable. Prétendre qu'un salarié isolé peut négocier sur un pied d'égalité avec son employeur est déjà une escroquerie. La seule protection du salarié, avec cet accord, serait que celui-ci devrait être soumis au directeur départemental du Travail... dont le silence vaudra acceptation. Mais comme un fonctionnaire aura été censé prendre une décision, le seul recours du salarié, s'il veut ensuite contester la rupture de son contrat de travail, sera le tribunal administratif. Et ce n'est que si ce dernier tranche dans un sens favorable au salarié (ce qui peut prendre facilement deux ans) que celui-ci pourra se tourner vers un tribunal de prud'hommes, où l'affaire pourra encore traîner quelques années. Dans les faits, cette rupture soi-disant négociée sera donc le plus souvent sans recours possible.
Ce texte prévoit aussi de demander aux pouvoirs publics de plafonner les indemnités accordées par les tribunaux pour licenciement abusif, c'est-à-dire que, quel que soit le caractère délictueux du comportement d'un employeur, il ne puisse pas être condamné à verser plus que ce plafond.
Autre avantage pour le patronat : des périodes d'essai plus longues, qui pourront atteindre deux mois pour les employés et les ouvriers, seraient de trois mois pour les techniciens et les agents de maîtrise, et pourraient, surtout, être renouvelables.
Quant à ce que les salariés pourraient retirer d'un tel accord, c'est beaucoup moins évident. Le quotidien économique Les Échos, qui n'a pas la réputation d'être un adversaire du patronat, écrit que " les contreparties en termes de sécurisation des salariés sont, dans certains cas, plutôt abstraites " et que " les mesures les plus coûteuses " (pour le patronat) sont " reportées à plus tard ".
Tous les médias commentent ce texte comme s'il était définitivement adopté. Le gouvernement dit que, si les syndicats n'acceptent pas, il passera par la loi, ce qui est un chantage pur et simple. La CGT a annoncé, à juste titre, qu'elle ne le signerait pas. La CFTC et FO ont d'ores et déjà décidé de signer. La CFDT n'a pas encore décidé officiellement mais est manifestement prête à donner son accord, sous le prétexte qu'un mauvais texte serait préférable à un très mauvais. C'est ainsi que son secrétaire général, François Chérèque, a justifié d'avance son approbation en déclarant : " S'il n'y a pas trois syndicats qui signent, on sait que le gouvernement fera ce qu'il veut. "
Évidemment que le gouvernement est prêt à faire des cadeaux au patronat ! Il ne fait que cela. Mais laisser croire que des conversations autour du tapis vert avec ce même patronat pourraient aboutir à un accord avantageux pour les travailleurs, c'est se moquer de ceux-ci. Le vrai problème aujourd'hui, ce n'est pas la " modernisation " du marché du travail, c'est celui de la répartition des richesses produites. Depuis des années, la part du patronat ne cesse d'augmenter, et celle des salariés de diminuer. Il n'y a pas sur ce plan d'intérêts communs entre patrons et travailleurs. Et le rôle des confédérations syndicales, ce devrait être de préparer le monde du travail à la contre-offensive nécessaire pour enrayer la régression sociale qu'on veut nous imposer au nom d'une prétendue " modernisation ", et pas d'accepter celle-ci sous prétexte que ce pourrait être pire.
Mais il appartient aussi aux travailleurs de se faire entendre des syndicats.