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Chili - Michelle Bachelet présidente : Ce n'est pas le changement
Dimanche 16 janvier, Michelle Bachelet, candidate de la Concertation démocratique, alliance électorale du Parti Socialiste et de la démocratie-chrétienne qui dirige le Chili depuis 1990, a remporté le deuxième tour de l'élection présidentielle, obtenant 53,5% des voix contre 46,5% à son adversaire de droite, le richissime patron de presse Sebastian Piñera.
L'élection à la présidence d'une femme dans le cône sud du continent américain a été très commentée. Dans un pays où les deux tiers des femmes restent à la maison et où la majorité de celles qui travaillent n'ont souvent qu'un travail précaire, la profession de pédiatre de la nouvelle élue comme sa situation de femme divorcée élevant seule trois enfants ont certainement joué en sa faveur auprès de l'électorat féminin. Les tentatives de son adversaire pour se rattraper en distribuant des bouquets de fleurs aux électrices en fin de campagne, après avoir déclaré "qu'il fallait un homme pour diriger le Chili", étaient pitoyables.
Cependant Bachelet n'est pas une nouvelle venue. Elle a fait ses armes dans le gouvernement du président précédent, le socialiste Lagos, d'abord au ministère de la Santé puis à celui de la Défense, autre "première" pour une femme ministre en Amérique du Sud. Le poste était d'autant plus difficile à tenir que l'armée devait encaisser les poursuites en cours contre Pinochet pour une partie de ses crimes pendant la dictature et pour corruption. Mais le fait d'être la fille d'un général, même loyal à Allende, a joué en sa faveur. C'est en tout cas ce qui a décidé les dirigeants de la Concertation démocratique à en faire leur candidate pour succéder au président sortant.
Certains commentateurs ont fait grand cas de cette "nouvelle" victoire de la gauche en Amérique latine. Mais la réalité est que cette Concertation démocratique, réunit le centre-gauche (le Parti Socialiste) et le centre-droit (la démocratie-chrétienne), et gouverne le pays depuis 1990, sous présidence socialiste depuis 1999.
Le compromis entre politiciens mis en place en 1990 avait pour objectif d'assurer une "sortie de dictature" en douceur, amnistiant les militaires puis restant neutre vis-à-vis des suites judiciaires de la dictature, mais assumant également son héritage économique. Pinochet, inspiré par les théoriciens ultras du libéralisme économique, après avoir brisé les organisations ouvrières, avait en effet privatisé l'essentiel de l'économie du pays. Non seulement la Concertation démocratique n'a pas remis cela en cause, mais ses deux composantes se sont relayées au gouvernement pour compléter les privatisations.
Cela a permis à l'économie chilienne, surtout exportatrice de matières premières comme le cuivre, de renforcer considérablement la prospérité des possédants et de la petite bourgeoisie qui gravite autour, en même temps que cela creusait les inégalités. Les 5% les plus riches disposaient en 2003 (dernier chiffre connu) d'un revenu 209 fois supérieur à celui des 5% les plus pauvres. En 1990, il n'était "que" de 130 fois supérieur! La pauvreté "officielle" approche les 20%. La moitié des travailleurs survivent grâce au travail au noir. Deux tiers des familles disposent d'un revenu moyen, sept fois inférieur au revenu moyen des 20% de familles les plus riches.
Il n'a jamais été question dans la campagne de Michelle Bachelet de remettre cela en question. Elle a mis en avant des réformes limitées pour la santé, la retraite, l'éducation et les droits des femmes, destinées à réduire un peu les inégalités mais pas à les supprimer. Trente-six mesures d'importance variables sont ainsi annoncées: des soins gratuits dans des dispensaires pour les plus de 60 ans, des bourses éducatives pour les familles pauvres, l'ouverture de nouvelles garderies pour les enfants, des aides aux petites entreprises, l'inscription automatique sur les listes électorales, la création d'un ministère de l'Environnement et de 6000 postes de policiers.
Elle a aussi parlé de réformer, d'ici 2010, le système des retraites (un système par capitalisation depuis la dictature, qui écarte d'une pension correcte les salariés qui n'ont pas assez cotisé et ceux qui n'ont survécu qu'avec le travail au noir). Il n'est pas sûr que cette réforme voie le jour car les capitalistes privés qui gèrent les fonds destinés aux retraites entendent ne pas être lésés.
Dans tout cela il n'est pas question de s'en prendre aux grandes familles du pays qui s'accaparent l'essentiel des richesses. Et celles-ci s'accommodent aujourd'hui très bien des politiciens issus des élections, comme hier elles applaudissaient l'armée qui brisait les os de la classe ouvrière. L'important pour eux c'est de continuer à prospérer et d'accroître leur fortune.
Mettre fin à ce système injuste, le bulletin de vote ne peut pas le faire. Car même si la nouvelle élue réalise tout ou partie de son programme social, cela restera de toute façon très en-deçà des besoins de la grande masse des Chiliens. Si les travailleurs du Chili et les masses pauvres veulent imposer un autre partage des richesses qu'ils créent chaque jour, ils ne pourront vraiment compter que sur leurs luttes.