Les patrons ont-ils le droit de licencier... au cas où?18/01/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/01/une1955.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Les patrons ont-ils le droit de licencier... au cas où?

Un arrêt de la Cour de cassation, rendu jeudi 12 janvier, a modifié la jurisprudence de cette dernière en autorisant les entreprises à licencier préventivement, en invoquant des difficultés "à venir".

L'arrêt avait trait à un plan de réorganisation d'une filiale de France Télécom, Pages Jaunes. Prenant prétexte de la concurrence suscitée par le développement d'Internet, l'entreprise avait, en novembre 2001, proposé une modification de contrat de travail à 930 salariés, en majorité des commerciaux chargés de démarcher des annonceurs publicitaires. Cette modification, se traduisant par une baisse de 10 à 20% des salaires et un renforcement de l'obligation de résultat, 118 des salariés concernés l'avaient refusée, ce qui avait conduit Pages Jaunes à se débarrasser d'eux purement et simplement dans le cadre d'un licenciement économique.

Ainsi l'entreprise arguait de la "sauvegarde de sa compétitivité", tout en étant largement bénéficiaire au moment des licenciements. Et quatre ans plus tard, elle continue, grâce à l'édition de ses annuaires téléphoniques en France, en Belgique, au Luxembourg et au Liban, d'engranger des profits en hausse de 19%.

Un certain nombre, parmi ces travailleurs abusivement licenciés, avaient alors engagé des procédures devant les tribunaux, dont plusieurs sont encore en cours. Mais, tandis que les cours d'appel de Montpellier et Grenoble donnaient raison aux salariés, celle de Dijon les avait déboutés, donnant raison à l'entreprise. C'est en faveur de cette décision que la Cour de cassation, confrontée à deux arrêts contradictoires, a donc tranché. Dans le cadre de la loi autorisant une entreprise à licencier pour "préserver sa compétitivité", les magistrats ont considéré que les modifications de contrats imposées par Pages Jaunes pouvaient avoir pour motif de "prévenir les difficultés économiques à venir liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences pour l'emploi, sans être subordonnées à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement".

La loi sur les licenciements économiques prévoit que ceux-ci ne peuvent être décidés qu'en ultime recours, en cas de difficultés économiques attestées. L'arrêt de la Cour de cassation aggrave encore les choses: au lieu de devoir indiquer des difficultés économiques, le patron n'aura qu'à invoquer d'éventuelles difficultés futures. Lui suffira-t-il à présent d'annoncer qu'il sent sa compétitivité en délicatesse pour se voir autorisé, aux yeux de la loi, à priver des salariés de leur emploi?

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