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Il y a 70 ans : 13 décembre 1944, la nationalisation des mines du Nord et du Pas-de-Calais.

Les nationalisations des houillères du Nord et du Pas-de-Calais furent les premières d'une longue série. Durant les années 1945 et 1946, l'État nationalisa des pans entiers de l'économie, des banques de dépôt aux assurances, en passant par le transport aérien et le secteur de l'énergie. Mais ce n'était nullement pour créer une « véritable démocratie économique et sociale » ou pour évincer les « grandes féodalités » de l'argent, comme l'affirmait le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), rédigé quelques mois plus tôt et censé inspirer ces mesures. En menant cette politique, les gouvernements de l'époque entendaient se donner les moyens de remettre sur pied un appareil de production mis à mal par les années de guerre.

Après le débarquement américain en août 1944, précédé de bombardements destructeurs, et les combats ayant entraîné le départ des troupes allemandes, un Gouvernement provisoire de la République française s'était mis en place, en septembre 1944, sous la direction de de Gaulle, l'homme derrière lequel s'étaient unifiés les mouvements de la Résistance, dont ceux organisés par le Parti communiste.

Tout le crédit que ses militants avaient gagné auprès de la population était mis au service de de Gaulle et de son entreprise de restauration de l'autorité de l'État. Pour faire accepter à la population la continuité de l'appareil d'État, c'est-à-dire le fait que sa haute administration et ses corps de répression, qui avaient oeuvré sous les ordres de Pétain, puissent continuer à le faire sous de Gaulle, le Parti communiste fut admis au gouvernement.

Dans le même temps où cette transition politique s'effectuait, la principale préoccupation fut la reconstruction de l'économie, victime des ravages de la guerre. La bourgeoisie française ne pouvait ni ne voulait assumer les investissements nécessaires. Pour suppléer sa carence, la nécessité d'une intervention massive de l'État dans l'économie s'imposait et faisait la quasi-unanimité du personnel politique de la bourgeoisie.

NATIONALISATION ET INDEMNISATIONS

Dans le secteur déterminant de la production de charbon, principale source d'énergie à l'époque, la situation était particulièrement critique. Si en 1938 la production nationale de houille était de 48 millions de tonnes, elle était tombée à 30 millions en 1944. L'équipement et l'outillage des mines étaient très vétustes car les compagnies minières avaient cessé d'investir. Dès septembre 1944, le gouvernement mettait en place un « groupement national » des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais, suspendant les présidents et directeurs des 18 compagnies. Le 13 décembre, la nationalisation était annoncée. Les actionnaires furent généreusement indemnisés, puisqu'il fut décidé de leur verser une indemnité qui leur assurait un revenu supérieur à celui de 1938. Par la suite, ils bénéficièrent d'obligations amortissables sur cinquante ans. Cette nationalisation fut donc une bonne affaire pour les actionnaires des houillères, qui purent ainsi se retirer d'entreprises déficitaires et aller investir leurs capitaux dans d'autres secteurs plus rentables.

La nationalisation servit à faire accepter aux mineurs des efforts et des sacrifices qu'il aurait été difficile de leur imposer au profit des compagnies privées. Un dirigeant de la CGT pouvait ainsi expliquer, le jour de la mise en place du conseil d'administration des Houillères à Douai : « Les nationalisations ne sont pas encore la mine aux mineurs. C'est un premier pas vers ce rêve de tous les travailleurs. Et lorsque ce rêve sera réalisé, ce sera la mine aux mineurs. » En attendant, il fallait produire et gagner la « bataille du charbon ». « Travailler d'abord, revendiquer ensuite » était le mot d'ordre du moment. Dans toutes les entreprises du pays, les militants communistes, poussés à se transformer en véritables contremaîtres, encadrèrent les travailleurs, faisant la chasse aux temps morts et muselant toute protestation.

NATIONALISATION ET SUREXPLOITATION

Dès septembre 1944, dans les mines, la CGT justifia le maintien du salaire au rendement, qu'elle avait combattu auparavant, et l'instauration d'un système de primes à la production. Après la nationalisation, les syndicalistes appelèrent à venir travailler plusieurs dimanches mais, malgré la pression qui visait à culpabiliser le mineur récalcitrant, ces journées supplémentaires furent mal acceptées et peu suivies. Durant la première moitié de l'année 1945, de nombreuses grèves éclatèrent. La CGT tenta de s'y opposer, dénonçant nommément des mineurs comme des « mauvais Français » et exigeant leur renvoi. À partir d'avril, chaque semaine un mouvement éclatait, gagnant parfois des puits voisins.

Le dirigeant communiste Auguste Lecoeur, qui fut durant cette période maire de Lens et secrétaire d'État à la Production charbonnière, raconta plus tard dans ses Mémoires comment il devait jouer « le pompier », utilisant invariablement la même méthode : « J'allais directement sur le carreau de la fosse et puis j'invitais les mineurs à venir et à discuter. (...) À la longue, c'étaient les nôtres qui restaient les derniers et, quand je voyais qu'ils avaient la majorité, je faisais voter la reprise du travail. Ça se passait toujours comme ça ! »

Le 21 juillet 1945, Maurice Thorez, secrétaire général du PC, vint s'adresser à des milliers de mineurs à Waziers, cité minière près de Douai. Il y déclara : « Produire, faire du charbon, c'est la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de Français. » Dans ce discours, il condamnait ceux qui s'arrêtaient « pour une égratignure », les « paresseux », les jeunes qui quittaient le travail plus tôt pour aller au bal... Et de conclure : « Je le dis en toute responsabilité, il est impossible d'approuver la moindre grève. »

De nombreux mineurs ne furent pas convaincus par ce discours. En septembre, une nouvelle grève éclata dans le bassin minier, alors même que le ministre socialiste de la Production, Robert Lacoste, accompagné des dirigeants nationaux de la CGT, venait à Lens lancer la campagne des « 100 000 tonnes de charbon par jour ». Après ce dernier mouvement, le nombre de grèves diminua fortement.

Les dirigeants du PC parvinrent à étouffer l'expression du mécontentement des mineurs et à leur faire accepter la course à la productivité. Dans les mines du Nord, les mineurs purent expérimenter la « pelle Maurice Thorez », deux fois plus large que la précédente. Le gouvernement, auquel participaient à partir de novembre 1945 cinq ministres communistes, dont Thorez lui-même, parvint à son objectif : en un an, la production charbonnière fut presque doublée.

Le statut du mineur adopté en 1946 et la Sécurité sociale charbonnière, qui assurait la gratuité des soins, ne compensaient pas la façon dont la santé des mineurs était sacrifiée délibérément. Une étude signée en 1947 par le communiste Lecoeur soulignait que « le nombre des accidents du travail en 1945 est le double de celui de 1938. (...) Les pertes de personnel sans possibilités de réparation (tués et invalides permanents) sont de 23 % plus élevées en 1946 qu'en 1938. »

Aujourd'hui, une grande partie de la gauche et même de l'extrême gauche continue de se réclamer du programme du CNR et des prétendues « réalisations sociales » de cette période. Comme il y a soixante-dix ans, cette référence ne peut servir qu'à masquer aux yeux des travailleurs une politique favorable aux intérêts de la bourgeoisie.

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