Recherche scientifique : Fonds publics, profits privés et promesses électorales24/01/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/01/une2008.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Recherche scientifique : Fonds publics, profits privés et promesses électorales

Un rapport officiel sur la recherche devrait bientôt paraître. Selon ce qui en a transpiré, mi-janvier, dans le journal Le Monde, les âmes simples auraient le droit de se demander pourquoi, depuis des années, les chercheurs dénoncent leur manque de moyens humains, financiers et matériels.

Ce rapport prétend que la recherche ne manquerait pas d'argent, au contraire, mais qu'elle l'emploierait de façon inefficace. Et d'accumuler les contrevérités, à en juger par les commentaires du Monde: «La France est l'un des pays où la dépense publique de recherche est la plus élevée ramenée au PIB» (produit intérieur brut).

En fait, si 2,1% du PIB servent à la recherche, près de la moitié (1%) concerne la recherche privée. Quant au 1,1% de financement public de la recherche, la moitié de ces fonds va au nucléaire, à l'espace, aux transports et au militaire. Ce n'est pas un hasard. Dans ces secteurs choyés, l'argent public irrigue quasi ouvertement de grands groupes privés ou parapublics liés à de puissants intérêts privés (Cogema, EADS, arsenaux, groupes d'armement, etc.) qui dominent leur domaine.

Alors, si le rapport dit grand bien des retombées industrielles, et militaires, des travaux du CEA (Centre à l'énergie atomique), en revanche il montre du doigt la grande majorité des autres secteurs de la recherche. Non content de les réduire à la portion congrue (ils doivent se partager à eux tous... 0,6% du PIB), on leur reproche officiellement (mais ce n'est pas nouveau) de ne pas résoudre «les problèmes de transferts industriels», de ne pas déposer assez de brevets ou de ne pas suffisamment «valoriser leurs travaux». Ce qui, en langage courant, signifie ne pas assez se soucier des retombées de leurs recherches (publiques) pour l'industrie (privée).

Les auteurs de ce rapport sont deux hauts fonctionnaires. L'un appartient au monde de l'entreprise. L'autre a été directeur-adjoint du cabinet du ministre de l'Éducation et de la Recherche de Jospin, Claude Allègre, un chaud partisan d'une mise encore plus complète de la recherche publique au service des entreprises. Sa politique, qui avait provoqué une levée de boucliers dans les laboratoires, fut poursuivie par Raffarin. Celui-ci réduisit fortement les crédits des organismes publics de recherche, pour les contraindre à se tourner encore plus vers l'industrie privée, afin d'en obtenir financements et contrats, en échange de travaux commandés par le secteur privé. En 2003, Raffarin réussit ainsi... à faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de chercheurs mobilisés contre lui.

Ce nouveau rapport s'inscrit donc dans la continuité de la politique menée en matière de recherche ces dix dernières années. Il reprend aussi ce que Sarkozy disait, il y a un an, en installant les «pôles de compétitivité» recherche-industrie dans les régions. Il s'agit de démanteler certains grands instituts de recherche, tel le CNRS, et de faire passer leurs laboratoires sous la tutelle des universités, dans les régions; de réserver les financements publics à des projets prioritaires, car intéressant directement l'industrie...

Ce qui a filtré de ce rapport a donc provoqué l'indignation parmi les chercheurs. Campagne électorale oblige, Sarkozy en appelle maintenant à un «effort historique: augmenter d'un quart le financement de la recherche publique»; Ségolène Royal parle «d'augmenter de 10% par an [...] cette priorité stratégique». Mais aucun n'a remis en cause la politique en la matière des gouvernements auxquels ils ont participé à tour de rôle.

Les chercheurs ont déjà refusé cette politique-là. Et ils auront à répondre au prochain gouvernement, quel qu'il soit, s'il veut poursuivre ce programme de démantèlement et de soumission de la recherche publique au privé.

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