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- Lutte ouvrière n°1708
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Lire : Il était minuit cinq à Bhopal, de Dominique Lapierre et Javier Moro
Au cours de la nuit du 2 au 3 décembre 1986, une cuve de MIC (méthyl isocyanate) explosait dans l'usine de fabrication d'insecticide appartenant au trust de l'Union Carbide, construite dans la ville de Bhopal, la capitale d'un Etat situé en plein coeur de l'Inde.
Des gaz extrêmement toxiques, dont l'acide cyanhydrique, se répandaient dans la ville tuant en une seule nuit entre 16 000 et 30 000 personnes. On ne saura jamais combien exactement, car des milliers de familles des bidonvilles, non recensées, ont entièrement disparu. 500 000 personnes ont été gravement blessées et gardent encore aujourd'hui des séquelles invalidantes comme des difficultés respiratoires, une vision nulle ou déficiente, des troubles psychologiques.
Les deux auteurs du livre Il était minuit cinq à Bhopal ont enquêté pendant plusieurs années pour reconstituer les circonstances, l'enchaînement des faits et les conséquences de cette catastrophe. Ils ont interrogé des centaines de personnes : ouvriers, techniciens, cadres, directeurs de l'usine et de la multinationale américaine mais aussi habitants de la ville et des bidonvilles bâtis sous les murs mêmes de l'usine. Leur récit raconte toutes les décisions qui ont abouti à la catastrophe, depuis celle de fabriquer un insecticide destiné à protéger des ravageurs la production agricole du pays, jusqu'à celle de désactiver les systèmes de sécurité de l'usine, en passant par la décision forcée de paysans ruinés, contraints d'émigrer vers l'un des bidonvilles qui sera parmi les plus touchés par les gaz mortels. Cette histoire reconstituée ressemble donc à la chronique d'une catastrophe annoncée.
Le récit montre que si la technique peut faire des prouesses, le fonctionnement normal du capitalisme aboutit à exiger des économies criminelles. Le groupe considérait qu'il ne gagnait pas assez d'argent avec la fabrication de cet insecticide. Il a donc été décidé d'économiser sur la sécurité, sur le personnel et sa formation, ce qui ne pouvait qu'aboutir à la catastrophe de 1986. Le livre montre aussi les méfaits du secret industriel. Malgré les discours, aucun des médecins ni des responsables ne savait quels gaz pouvaient se former ni même qu'ils étaient mortels.
Les épisodes du récit s'enchaînent en faisant monter la tension vers la catastrophe. Tous les acteurs sont connus dans leur vie quasi quotidienne. On voit le piège se refermer sur eux et ce n'est pas la fatalité qui est à l'oeuvre. Ce n'est pas la technique qui est en cause, mais le système capitaliste avec ses choix économiques qui est responsable.
La description de tout ce qui gravite autour de cette usine dangereuse est percutante et les auteurs savent faire partager l'émotion qu'ils ressentent devant ce drame dû à des choix économiques odieux. Cependant, comme dans d'autres récits de Dominique Lapierre, auteur de La cité de la Joie, il exprime son admiration devant la débrouillardise, l'aptitude à vivre dans la misère tout en gardant le sens de la fête et de la solidarité. Il inscrit cette aptitude en grande partie sur le compte de la mystique religieuse, hindouiste, musulmane ou chrétienne, qui aideraient à supporter la misère. La religion, toutes les religions restent bien en effet un "opium du peuple" , selon l'expression de Marx, parmi les plus efficaces. Et les auteurs s'étendent d'ailleurs plus sur les coutumes religieuses que sur le combat mené par des syndicalistes de l'usine de Bhopal, dont on n'apprend pas grand-chose. Visiblement, cela ne les intéresse pas. Il reste que ce livre est révoltant et enthousiasmant et qu'il démontre combien il y a urgence pour l'humanité de se débarrasser du système capitaliste afin de pouvoir utiliser les techniques les plus modernes en toute sécurité.
Maryse Dujardin
Il était minuit cinq à Bhopal, de Dominique Lapierre et Javier Moro, Editions Robert Laffont, 440 pages, 139 francs.