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Leur société
Mayotte : des Comoriens pourchassés
Depuis le début de l’année, des Mahorais regroupés en de prétendus « collectifs citoyens » organisent des expéditions punitives pour expulser des Comoriens en situation dite irrégulière ou supposée telle. Au moins un millier de « ces étrangers indésirables », des hommes, des femmes et des enfants venus des îles voisines, ont été jetés à la rue.
Des dizaines de villages du sud de Mayotte ont déjà eu à subir des opérations émanant de ces groupes de villageois. Ils arrivent en voiture, souvent armés de couteaux et de bâtons pour chasser les Comoriens de leur domicile en criant « Nawa lawé ! » (« Qu’ils partent ! », en langue locale). Les cases des victimes sont brûlées. Certaines familles, par crainte de violences, préfèrent quitter leurs foyers avant l’arrivée des convois punitifs. Sans toit, elles se retrouvent sur le bord des routes où elles sont accueillies par des Mahorais choqués par de telles situations. D’autres se réfugient dans des campements dressés par Médecins du monde, dans des conditions sanitaires désastreuses et avec peu de nourriture.
Face à ces exactions, des associations de Mahorais, de Comoriens, ou la Ligue des droits de l’Homme, ainsi que des élus de Mayotte et de La Réunion, en appellent aux autorités françaises pour qu’elles mettent fin aux violences en rétablissant « l’État de droit ». Mais si revendiquer « l’État de droit » peut revenir à demander à la police de stopper les agresseurs, cette demande conduit également à ce que soit menée la lutte contre l’immigration clandestine des Comoriens à Mayotte.
Actuellement, sur une population de 230 000 habitants, 40 % seraient des étrangers, en grande majorité des Comoriens. Arrivant à Mayotte, ils fuient la misère qui règne dans les trois îles voisines qui, avec le département français, composent l’archipel des Comores. À Mayotte, qu’ils atteignent le plus souvent clandestinement en risquant leur vie à bord d’embarcations légères, et non sans avoir payé des sommes importantes à des passeurs sans scrupules, les migrants espèrent trouver du travail, bénéficier de soins médicaux et scolariser leurs enfants.
À Mayotte, devenue le 101e département en 2011, le chômage touche officiellement 19 % de la population active (61 % chez les jeunes), et plus de 27 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Dans une telle situation, et comme l’ont montré les récentes grèves et manifestations, la colère de la majorité des Mahorais est dirigée contre l’État français qu’ils accusent, à juste titre, de les avoir oubliés en maintenant leur île et sa population dans un état de sous-développement chronique. Depuis 1974, date à laquelle la France a pris la décision de garder Mayotte dans son giron, l’île devenue française est restée à la traîne, même par rapport à La Réunion voisine.
Pour donner aux Mahorais l’illusion que des efforts ont été entrepris pour qu’ils puissent être considérés comme des citoyens à part entière, les gouvernements de France leur ont servi pendant 37 ans des changements successifs de statuts présentés comme des étapes pour accéder à la départementalisation. Mais loin d’améliorer de façon substantielle les conditions de vie des Mahorais, l’État français leur a surtout compliqué les relations avec les populations sœurs des Comores, notamment à partir de 1995 quand, sous le gouvernement Chirac-Balladur, la libre circulation a été interdite entre les îles, avec l’obligation d’un visa pour se rendre à Mayotte.
Devenus étrangers à Mayotte, la plupart des Comoriens sont aujourd’hui traqués par les autorités françaises, conduits manu militari dans le centre de détention de la capitale, avant d’être renvoyés dans les autres îles des Comores. Si des groupes réactionnaires de Mahorais s’attaquent aux plus pauvres, c’est aussi qu’ils prennent exemple sur les agissements des autorités françaises dans l’île. Dans les événements déplorables qui se produisent aujourd’hui à Mayotte, l’État porte une grand part de responsabilité.