États-Unis : la mort de Mohamed Ali08/06/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/06/2497.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

États-Unis : la mort de Mohamed Ali

Article traduit de The Spark, journal trotskyste américain.

Avec la mort de Mohamed Ali, à l’âge de 74 ans, les médias sont pleins d’hymnes à son « humanisme », son « courage », son style, et même à sa fameuse insolence. Paradoxalement, ceux qui aujourd’hui font son éloge sont de la même espèce que ceux qui en 1967 essayaient de l’envoyer en prison et qui l’ont bel et bien dépouillé de sa licence de boxeur.

En 1964, un jeune boxeur effronté nommé Cassius Clay fit irruption sur la scène publique en défiant le champion Sonny Liston pour le titre de champion des poids lourds.

Malgré une cote de huit contre un en sa défaveur, Clay domina le match. Dans un style gracieux et habile, il dansait hors de portée de son adversaire, amenant Liston à se balancer de tous côtés et à le manquer. Au début du cinquième round, Liston était incapable de répondre à la cloche et Clay, qui apparemment n’avait pas été marqué, se proclama lui-même vainqueur.

Clay avait déjà indisposé bien des journalistes par son style direct et plein d’assurance en dehors du ring. Mais, juste après cette victoire écrasante, il annonça, avec Malcolm X à son côté, qu’il avait rejoint la Nation de l’islam. Bientôt il annonça qu’il avait changé son nom en Mohamed Ali.

Les racistes l’attaquèrent, dans la presse et en dehors. Mais il devint un héros pour les Noirs et pour d’autres qui se sentaient liés à leurs luttes.

À la différence d’autres vedettes du sport, qui se faisaient un nom pour eux-mêmes, Ali utilisait sa célébrité pour défendre la cause des Noirs. Quand en 1966 il refusa d’être enrôlé dans l’armée parce qu’il était opposé à la guerre du Vietnam, c’est à toute une génération qu’il s’adressa. Beaucoup n’ont jamais oublié sa déclaration : « Je n’ai pas de reproches à faire au Vietcong. Jamais aucun vietcong ne m’a traité de nègre. »

L’année suivante il ajouta : « Pourquoi est-ce qu’on me demande de mettre un uniforme et d’aller à 10 000 miles de chez moi lancer des bombes et des balles sur des gens de couleur au Vietnam, pendant qu’à Louisville ceux qu’on appelle les Noirs sont traités comme des chiens et privés des droits humains élémentaires ? Je ne vais pas aller à 10 000 miles de chez moi aider à tuer et brûler un autre peuple pauvre simplement pour maintenir la domination des maîtres d’esclaves blancs sur les peuples de couleur dans le monde entier. Aujourd’hui, de tels méfaits doivent cesser. On m’a averti qu’adopter une telle position me coûterait des millions de dollars. Mais je l’ai dit et je le redirai. Le réel ennemi de mon peuple est ici. Je ne déshonorerai pas ma religion, mon peuple ou moi-même en devenant un instrument pour réduire en esclavage ceux qui luttent pour leur justice, leur liberté et leur égalité. Si je pensais que la guerre allait apporter liberté et égalité aux 22 millions qui sont mon peuple, ils n’auraient pas besoin de m’enrôler, dès demain je m’engagerais. Je n’ai rien à perdre à tenir bon pour mes convictions. Cela me mènera en prison ? Et alors ? Cela fait 400 ans que nous sommes en prison. »

Son refus d’être enrôlé renforça les jeunes soldats issus de la classe ouvrière qui, de l’intérieur de l’armée, s’opposaient déjà à la guerre. Il encouragea aussi d’autres athlètes à prendre position, en particulier le grand basketteur Kareem Abdul-Jabbar.

En avril 1967, Ali fut déchu de son titre de champion des poids lourds pour avoir refusé l’enrôlement. Le 20 juin, il fut déclaré coupable de crime. Pour avoir pris position, à la fleur de l’âge, on lui interdit de boxer.

Et il en paya le prix : quand il revint à la boxe, de trois ans et demi plus vieux, il avait perdu de son mordant. Trois ans encore après, il regagna son titre de champion, mais il le reprit lors d’un des combats les plus harassants qu’on ait jamais vus, le fameux combat de Manille.

Tout le monde se rappelle comment Ali avait qualifié sa manière de boxer : « Voler comme un papillon et piquer comme une abeille ». Eh bien il se rendait compte que « voler comme un papillon » ne le protégeait pas d’encaisser durement sur le ring. Comme pour bien d’autres boxeurs, l’accumulation des coups l’amena à contracter la sorte de maladie de Parkinson dont il a souffert, et qui finalement fit taire sa voix.

Même avant d’arrêter la boxe, il avait un peu de mal à articuler. Finalement, il fut incapable d’exprimer ses propres idées et souvent d’autres parlèrent pour lui. Après le 11-Septembre 2001, il dénonça ceux qui avaient mené ces attaques comme indignes d’être musulmans, disant : « L’islam n’est pas une religion d’assassins. » Il ajouta : « Quoi qu’ils décident (le gouvernement américain), je suis à cent pour cent derrière eux. » Cette déclaration fut utilisée par le pouvoir pour justifier ses guerres menées au Moyen-Orient.

Mohamed Ali fut alors officiellement réhabilité, transformé en un ambassadeur mondial des États-Unis : une triste fin pour quelqu’un qui jadis avait soutenu ceux qui, dans d’autres pays, se battaient contre leur domination.

Malgré cela, Mohamed Ali occupera une place à part dans la mémoire de plusieurs générations pour qui le seul choix raisonnable était de lutter contre le racisme et la guerre.

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