Juin 1936 : la grève générale !08/06/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/06/2497.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 80 ans

Juin 1936 : la grève générale !

On parle le plus souvent de 1936 comme de l’année des conquêtes du Front populaire. Mais, si des droits furent conquis cette année-là par les travailleurs, c’est dû d’abord et avant tout à la formidable vague de grèves de mai-juin 1936. La France fut en effet paralysée par une grève générale comme elle n’en avait encore jamais connu, qui entraîna la quasi-totalité de la classe ouvrière.

Cette mobilisation plongeait ses racines dans la situation de crise que connaissaient le pays et plus largement l’ensemble du monde capitaliste, dans les années 1930. En 1934, sur douze millions de salariés, plus d’un million étaient au chômage total ou partiel. Mais la première réaction des travailleurs dans cette période se produisit sur un terrain politique. Le 6 février 1934, les milices d’extrême droite, les Croix de feu et l’Action française, marchèrent sur l’Assemblée nationale, provoquant la chute du gouvernement après une nuit d’affrontements avec la police. Un an après l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne, ce fut la crainte d’une nouvelle victoire du fascisme qui amena les travailleurs à se mobiliser et à participer massivement à la journée de grève et de manifestation du 12 février 1934, à l’appel des organisations ouvrières.

Exploitant cette volonté de lutte et l’aspiration à l’unité parmi les travailleurs, les dirigeants socialistes et communistes constituèrent en juillet 1935 la coalition de Front populaire, auquel participait aussi le Parti radical, constitué de vieux routiers politiques de la IIIème République. Cette alliance prétendait lutter pour « la défense des libertés démocratiques, du pain des travailleurs et la paix » mais son programme se limitait à ce que pouvait accepter le Parti radical et ne comprenait aucune mesure en faveur des travailleurs.

Au terme d’une campagne ponctuée de grandes manifestations, comme celle du 16 février 1936 qui rassembla plus d’un demi-million de personnes à Paris, le Front populaire remporta les élections législatives du 26 avril et du 3 mai 1936, marquées par une poussée à gauche. Le PC doubla son nombre de voix, avec 1,5 million d’électeurs. La combativité croissante des travailleurs se manifesta aussi par une participation plus importante aux grèves et aux manifestations du 1er mai.

L’éclatement des premières grèves

Le 11 mai 1936, les travailleurs des usines Bréguet au Havre et Latécoère à Toulouse se mirent en grève, pour exiger la réintégration de travailleurs licenciés pour avoir participé au 1er mai, qui alors n’était pas un jour chômé. Dans les deux cas, les travailleurs occupèrent l’entreprise, obtenant rapidement satisfaction.

Le 24 mai, la manifestation traditionnelle au Mur des fédérés, à la mémoire des communards, rassembla 600 000 personnes. Le militant anarcho-syndicaliste Monatte écrivit : « Une manifestation de l’ampleur de celle du Mur ne pouvait pas ne pas avoir un écho le lendemain dans les usines. Quand on se sent fort dans la rue, on ne peut pas continuer à se sentir esclave à l’usine. »

Le 26 mai, dans les entreprises Nieuport à Issy-les-Moulineaux, Lavalette à Saint-Ouen, Hotchkiss à Levallois, la grève avec occupation démarrait. Le 28 au matin, les 35 000 ouvriers de Renault Billancourt cessaient à leur tour le travail, donnant le signal de la grève à d’autres grosses entreprises comme Fiat, Chausson, Gnome et Rhône, Talbot. Au total, 100 000 travailleurs de la métallurgie étaient dès lors en grève.

Cependant, les dirigeants de la CGT et ceux du PC ne souhaitaient pas que se développe un mouvement de grande ampleur, forcément plus difficile à contrôler. Le 29, dès la conclusion d’un accord local, la CGT appela à la reprise chez Renault.

La grève devient générale

Mais le mouvement était lancé et les grèves continuèrent à s’étendre. Les travailleurs de Renault, après avoir repris le 2 juin, cessèrent à nouveau le travail deux jours plus tard. Les grèves s’étendaient dans tout le pays, touchant tous les secteurs d’activité, de l’industrie aux grands magasins parisiens. Pendant presque tout le mois de juin, jour après jour, de nouvelles catégories se mirent en grève à leur tour, même les moins habituées à revendiquer, comme celle des salariés des cafés, hôtels et restaurants, celle des femmes de ménage ou des concierges.

Analysant la situation dans un article intitulé « La révolution française a commencé », Trotsky écrivait le 9 juin : « Le mouvement prend le caractère d’une épidémie. La contagion s’étend d’usine en usine, de corporation en corporation, de quartier en quartier. (…) Ce qui s’est passé, ce ne sont pas des grèves corporatives, ce ne sont même pas des grèves. C’est la grève. C’est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, c’est le début classique de la révolution. (…) Toute la classe est entrée en mouvement. Il est impossible d’arrêter par des paroles cette masse gigantesque. »

Le patronat, comprenant parfaitement ce qui était en jeu, accepta de faire d’importantes concessions, l’essentiel étant pour lui de mettre fin au mouvement afin de se retrouver à nouveau en position de force. Le Premier ministre socialiste Léon Blum raconta plus tard comment fut organisée à Matignon une réunion avec les représentants du patronat et des syndicats : « L’initiative première est venue du grand patronat », dit-il, et il lui fut demandé « de provoquer au plus vite le contact sur la base du relèvement général des salaires, avec l’évacuation des usines en contrepartie… Voilà d’où est venu l’accord Matignon. »

Ces accords, prévoyant la reconnaissance du droit syndical, l’institution de délégués ouvriers élus, le principe des conventions collectives et une importante augmentation des salaires, furent suivis du vote à l’Assemblée des lois portant la semaine de travail à 40 heures et instaurant des congés payés. Mais, au lendemain de la signature de ces accords, les grèves se poursuivirent et le nombre de grévistes continua même d’augmenter. Instinctivement, les travailleurs sentaient qu’ils pouvaient obtenir beaucoup plus et un changement bien plus profond.

La trahison du Front populaire

Les dirigeants de la CGT et du PC durent mettre tout leur poids pour faire reprendre le travail. « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue », déclara le dirigeant communiste Thorez devant les membres de son parti réunis le 11 juin. « Tout n’est pas possible maintenant », répétaient tous les dirigeants du PC, pour amener leurs militants à conclure dans les entreprises des accords mettant fin à la grève. Si le mouvement commença à refluer à partir de la mi-juin, de nombreuses entreprises étaient encore occupées au mois de juillet.

Les congés payés et les 40 heures allaient rester dans l’histoire comme les « conquêtes » du Front populaire. Mais aucune de ces mesures ne figurait à son programme. Blum et son gouvernement ne les firent adopter que dans l’objectif d’obtenir la fin des grèves. Dans les mois qui suivirent, Blum multiplia au contraire les concessions au patronat, l’aidant à regagner ce qu’il avait été contraint de lâcher, à rétablir son autorité et un rapport de force en sa faveur dans les entreprises.

Deux ans après juin 1936, des décrets autorisèrent les dérogations aux 40 heures au nom de la Défense nationale. En 1939, pour la deuxième fois dans le siècle, le système capitaliste en crise plongea le monde dans la barbarie de la guerre mondiale. Celle-ci marquait le fait que la poussée ouvrière de 1936, tout comme celle qui s’était produite au même moment en Espagne, n’avait pas réussi à ouvrir une autre voie, la voie révolutionnaire qui seule aurait pu mettre à bas un système capitaliste fauteur de misère et de guerre.

Dans une telle période, contrairement à la politique qu’imposèrent les dirigeants du Front populaire, et en particulier du Parti communiste stalinien, la classe ouvrière ne pouvait mettre fin au chômage et à la misère et arrêter la marche à la guerre sans se donner les moyens de renverser la bourgeoisie, en alliance avec les travailleurs d’Espagne et des autres pays européens.

Les grèves de mai-juin 36 restent comme une formidable démonstration de force des travailleurs, démontrant leur capacité à s’organiser, à paralyser l’économie et à faire pression sur les classes dirigeantes. Mais c’est aussi l’exemple d’une trahison des aspirations de la classe ouvrière par ses organisations traditionnelles, et d’une occasion manquée de changer le cours de l’histoire.

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