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Russie : le Kremlin et sa grosse artillerie propagandiste
Fin mars, un peu partout en Russie, les autorités ont célébré avec faste un an de rattachement de la Crimée. Les chaînes de télévision ont montré les foules en liesse de Moscou à Vladivostok, et elles ont interviewé en boucle des habitants de la principale ville de Crimée, Sébastopol.
Tous ceux qui passaient à l’écran disaient leur satisfaction d’être redevenus des citoyens russes. Cela confirmait le résultat du référendum d’il y a un an qui, n’en déplaise aux puissances occidentales, avait dit la volonté d’une large majorité de Criméens de se séparer de l’Ukraine. Mais les raisons avancées par les interviewés ne témoignaient pas toutes de l’enthousiasme patriotique que le Kremlin vante en permanence. Ainsi, certains disaient leur soulagement d’avoir échappé à la guerre qui ravage l’est de l’Ukraine, laissant entendre que leur intégration à la Fédération de Russie serait surtout un moindre mal.
Mais, si quelques journaux font allusion au désenchantement d’une partie de la population, confrontée qu’elle est au blocus économique de leur presqu’île, les téléspectateurs russes n’en ont rien su. Il n’était pas question de gâcher la fête du retour à « la mère-patrie », par l’habileté et la poigne de Poutine, en évoquant à la télévision le renchérissement du coût de la vie pour la population de la Crimée. En effet il lui faut maintenant importer de Russie, et sans qu’il y ait assez de bateaux pour ce faire, l’eau, l’énergie, la plupart des produits qu’elle consomme.
Les poches sans fond des bureaucrates
Quant au pont gigantesque promis par Moscou, qui réunirait la Crimée à la Russie en enjambant le détroit de Kertch, avant même qu’il voie le jour son montant estimé a plus que décuplé en quelques mois. Et ce n’est sans doute pas fini, car la corruption des autorités locales et centrales, comme l’avidité des groupes du BTP que contrôlent de hauts bureaucrates proches du pouvoir, sont sans limites.
Hasard du calendrier, l’anniversaire du rattachement de la Crimée coïncidait avec la célébration de la journée de l’Office de lutte contre la criminalité économique. Dans de nombreuses villes, des panneaux de grande taille ont fleuri montrant, ici un poing écrasant la corruption en donnant un téléphone auquel appeler pour s’en plaindre (aux mêmes policiers qui rackettent au grand jour ?), là deux individus enchaînés par des menottes, sous le slogan « Un pot-de-vin, deux criminels ». Bien sûr, il en faudrait plus pour effrayer la myriade de membres de l’appareil d’État qui se sucrent sur le dos de la population. Au point qu’un journal populaire russe racontait sur une pleine page, le 19 mars, « Comment voler un milliard ». Il citait le cas de firmes du bâtiment ou celui du chef du département des affaires internes de la police de Saint-Pétersbourg, « recordman des corrompus », actuellement sous les verrous.
Que des victoires ?
Pour faire un peu oublier ses propres turpitudes, le pouvoir n’en finit plus de célébrer les victoires russes. Il y a la Crimée. Mais partout aussi, dans les transports, les magasins, les lieux publics, sur des écrans couvrant des immeubles entiers, il claironne : « Il y a 70 ans – La victoire » sur l’Allemagne, ou encore : « La prise de la forteresse de Corfou par Ouchakov, le 3 mars 1799 ». Car les autorités n’hésitent pas à remonter loin dans le temps pour leur campagne d’intoxication sur « les dates mémorables de l’histoire guerrière de la Russie ».
En l’occurrence, le Kremlin aimerait en soûler l’opinion pour détourner son attention des problèmes que pose la crise : prix qui flambent (ceux du train ont doublé en mars) ; salaires qui stagnent, donc pouvoir d’achat qui recule ; programmes sociaux en berne ; magasins dont certains rayons se sont vidés dans les grandes villes, avec l’embargo russe censé répliquer aux sanctions occidentales. Des géants, telle l’usine de wagons de Tver, veulent licencier la moitié du personnel : leur production ne trouve plus preneur. Avec la chute des revenus de la petite bourgeoisie, le marché automobile russe, le deuxième en Europe, a reculé de 10 % en 2014 et pourrait fondre de moitié en 2015, selon le gouvernement. D’où le plan de 400 millions d’euros qu’il vient de lancer en soutien aux industriels russes ou étrangers du secteur. Mais cela ne change pas grand-chose, en tout cas pour leurs salariés. À Kalouga, Volkswagen, qui vient de réduire sa production, supprime des emplois et PSA menace de le faire. Quant aux équipementiers Benteler et Faurecia, leurs effectifs ont brutalement fondu. Même chose à Togliatti pour Avtovaz, la firme géante dont Renault est copropriétaire.
Poutine et les siens voudraient que les travailleurs gardent les yeux fixés sur les victoires de la Grande Russie, de crainte que, constatant les coups que lui portent nantis et gouvernants, la classe ouvrière russe ne se prenne d’envie de les leur rendre. Ce serait bien la meilleure chose qui puisse arriver pour les classes laborieuses de ce pays.