Argentine : Des tortionnaires de l'armée condamnés09/11/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/11/une2258.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine : Des tortionnaires de l'armée condamnés

Le 26 octobre dernier, le capitaine du cadre de réserve Alfredo Astiz, 60 ans, a été condamné à la prison à perpétuité pour les crimes qu'il a commis pendant la période de la dictature argentine (1976-1983).

Surnommé « l'Ange blond de la mort », il était un des tortionnaires qui officiaient à l'École mécanique de la marine argentine (ESMA), un site militaire de Buenos Aires, où quelque cinq mille personnes ont trouvé la mort pendant la dictature. C'est de cette école qu'étaient organisés ce qu'on a appelé les « vols de la mort ». Les opposants étaient drogués et jetés depuis des avions dans les eaux du rio de la Plata tout proche.

Astiz est connu pour avoir infiltré la première génération du mouvement des Mères de la place de Mai : ces mères de militants qui s'étaient mobilisées sous la dictature parce que des proches, souvent leurs enfants, avaient disparu, assassinés par une soldatesque qui a tué 30 000 opposants de gauche ou d'extrême gauche, lycéens ou étudiants, militants ouvriers ou guérilleros péronistes. Ces femmes courageuses ont été surnommées les « Folles de la place de Mai » parce qu'elles avaient le cran de manifester chaque jeudi à 15 heures devant le palais présidentiel. Une ronde que les survivantes poursuivent encore aujourd'hui.

Astiz s'était présenté comme cherchant lui aussi des proches, mais c'était pour faire arrêter et assassiner les femmes de ce mouvement. Il est responsable de la mort de la première dirigeante des Mères, ainsi que de deux religieuses françaises qui la soutenaient.

Le procès concernait 86 victimes, dont l'écrivain et journaliste Rodolfo Walsh assassiné en mars 1977. Les militaires n'avaient jamais digéré un de ses livres qui dénonçait, bien avant le putsch de 1976, leurs méthodes arbitraires (Opération massacre, publié l'an dernier par Christian Bourgois). Onze autres tortionnaires de l'ESMA ont été condamnés à la perpétuité et quatre à des peines de prison allant de 18 à 25 ans.

Astiz et ses co-condamnés ne regrettent rien et se considèrent comme des « persécutés politiques ». L'un d'eux a même déclaré que « la grande erreur a été de laisser des gens en vie ». Il n'y a pourtant eu guère de survivants : une vingtaine à l'ESMA et cinq au camp militaire de Mai, dans la banlieue de Buenos Aires.

Ce procès s'inscrit dans la série de procès que les Kirchner ont lancée à partir de 2006-2007 pour s'assurer des soutiens politiques dans les milieux de gauche. À ce jour, environ deux cents cadres de l'armée, mais aussi des policiers et des civils, ont été condamnés. Parmi eux, l'ancien dictateur Jorge Videla, 85 ans, le Pinochet argentin, condamné à la prison à perpétuité en décembre dernier pour crime contre l'humanité.

Il avait comparu en 1985 et avait déjà été condamné à la même peine. Mais, en 1987 et 1990, deux lois promulguées par le président radical Alfonsin puis par le président péroniste Menem, qui entendaient ménager l'armée, avaient annulé les peines des militaires. Le même Videla est aujourd'hui encore jugé pour le vol de cinq cents bébés d'opposants, nés à l'ESMA et adoptés par des militaires ou des policiers en manque de paternité, après que leurs vrais parents eurent été torturés et assassinés.

De 1976 à 1981, Videla avait été le principal dirigeant de la dictature qui a éliminé toute une génération de militants de gauche. Ces morts ont été qualifiés de « disparus » parce que Videla avait déclaré un jour à leurs proches : « Il n'y a plus de morts ou de vivants, il n'y a que des disparus. » Depuis, il est resté le même : « J'assume entièrement mes responsabilités militaires pour toutes les actions menées par l'armée argentine pendant cette guerre intérieure », avait-il déclaré à son procès de 2010.

D'autres procès sont en préparation concernant cinq cents autres crimes commis à l'ESMA, devenue aujourd'hui un lieu de mémoire dénonçant les crimes de l'armée. Trente-cinq ans après, il est plus que temps.

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