À quoi sert l'armée ?07/07/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/07/une-2188.gif.445x577_q85_box-0%2C14%2C163%2C226_crop_detail.png

Leur société

À quoi sert l'armée ?

Mercredi 14 juillet, c'est la journée du traditionnel défilé militaire de l'armée française. Cette année, cinquantenaire des indépendances africaines oblige, le défilé fait la part belle aux contingents de soldats des ex-colonies françaises d'Afrique noire qui vont ouvrir le défilé, tandis que les chefs d'État de ces pays plastronneront à la tribune officielle. Sarkozy a déjà dit que « la France sait ce qu'elle doit à l'Afrique, et qu'elle lui exprimera sa gratitude ». Une demi-siècle de pillage supplémentaire vaut bien une messe, pardon, un défilé !

C'est aussi l'occasion de se redemander à quoi sert l'armée. En ces temps où l'État prétend faire des économies et cherche surtout à imposer des sacrifices à la population, il serait en effet appréciable de disposer des quelque 40 milliards d'euros qui lui sont destinés, bon an mal an, et qui seraient plus utiles à la population s'ils servaient à l'éducation, à la santé ou aux transports. Mais les défenseurs du budget militaire considèrent au contraire que celui-ci doit rester prioritaire, et surtout en temps de crise, invoquant parfois même un « principe de précaution », c'est-à-dire l'éventualité d'une guerre.

Pourtant, la dernière fois que l'armée française a effectué des tâches de défense du territoire national auxquelles elle est en théorie destinée, en 1939-1940, la démonstration n'a pas été très probante. En revanche, quand elle s'est projetée sur le front des dernières guerres coloniales, en Indochine puis en Algérie, elle a montré sa véritable nature, celle d'une force de répression, capable de réprimer sans état d'âme des peuples en lutte pour leur indépendance, offrant une nouvelle illustration à la formule d'Anatole France : « L'armée, c'est l'école du crime. »

L'État, c'est d'abord « des bandes d'hommes en armes », selon la formule du marxiste Friedrich Engels. Aujourd'hui, l'armée française a pour ambition d'être capable de « projeter » 30 000 hommes sur des « théâtres extérieurs » tout en conservant 10 000 hommes en cas de « crise intérieure ».

Parmi ces « théâtres », parfois sanglants, il y a l'Afrique. Si des troupes africaines défileront ce 14 juillet, c'est qu'il existe là-bas tout un dispositif militaire français entre le Gabon, la Côte d'Ivoire et Djibouti, permettant d'intervenir à tout moment. Dans les périodes calmes, l'armée française participe à des manoeuvres communes et forme ses alliés. Mais quand un dirigeant africain est menacé, elle intervient pour le maintenir en place. C'est la vraie raison de sa présence sur place, pas le sort des ressortissants français.

À Abidjan par exemple, il y a une base militaire française. L'armée française y est intervenue il n'y a pas si longtemps contre la population, faisant des morts et des blessés. Mais elle n'a jamais protégé la population ivoirienne des deux armées qui l'oppriment ou des bandes ethnistes.

Même si la France est un impérialisme de second ordre, pour permettre à ses groupes industriels ou financiers de maintenir et développer leurs positions, il lui faut aussi prendre sa part dans les coalitions d'États impérialistes qui ont pu intervenir ces vingt dernières années, notamment au Moyen-Orient. La France, sous Mitterrand, participa ainsi à la première coalition inter-impérialiste contre l'Irak, en 1990-1991. Certes, sous Chirac, elle préféra s'abstenir de participer à celle de 2003. En revanche, entre-temps, elle n'hésita pas à s'associer à l'intervention menée depuis neuf ans par les États-Unis en Afghanistan. Et Sarkozy, qui a déjà renforcé les effectifs engagés, va encore les augmenter pour les porter à 4 000 soldats, alors que tout indique que les opérations des armées impérialistes ont surtout pour résultat de renforcer le recrutement des insurgés, talibans et autres.

Il n'y a pas eu d'affrontements entre l'armée et des grévistes depuis 1948. Mais on se souvient qu'en juin 1968, De Gaulle prit le chemin de Baden-Baden pour s'assurer du soutien de l'armée, et il est évident qu'en cas de soulèvement populaire l'armée ne serait pas mise de côté. N'est-il pas prévu de conserver 10 000 soldats en cas de « crise intérieure » ?

La guerre, et sa préparation permanente, est aussi l'un des régulateurs de l'économie contemporaine. Aux États-Unis, on parle du complexe militaro-industriel, ce qui a au moins le mérite de la clarté. Et parmi les profiteurs de la guerre d'Irak, il y a eu non seulement les compagnies pétrolières, mais aussi des équipementiers industriels comme Halliburton et Bechtel.

L'existence de l'armée engendre des débouchés pour tous les secteurs d'activités : l'industrie d'armement, bien sûr, mais aussi la construction navale, l'aéronautique, l'industrie automobile, la construction mécanique, l'électronique, l'industrie chimique, l'industrie textile, le bâtiment et les travaux publics, le transport, l'industrie agro-alimentaire et même la recherche scientifique.

Du point de vue capitaliste, l'armée n'est pas un fardeau mais un marché, qui plus est garanti par l'État. Comment le groupe Dassault aurait-il vendu les avions Rafale dont personne ne veut, s'il n'y avait pas eu l'armée de l'air à équiper ? Les crédits militaires sont des subventions de l'État aux groupes capitalistes. Elles sont nuisibles à la communauté humaine, mais une solide assurance pour les industriels concernés. Des pans entiers de l'économie capitaliste reposent donc sur l'existence de l'armée, comme c'était déjà le cas à l'origine du capitalisme, où les fournisseurs des armées furent au coeur de l'expansion industrielle.

Pour en finir avec l'armée, il faut aussi en finir avec le capitalisme.

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