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- Lutte ouvrière n°2439
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il y a 70 ans
Italie – 25 avril 1945 : la chute du fascisme et le changement de peau de la bourgeoisie
Mais le consensus politique qui entoure cet événement et la République qui en est sortie une année plus tard, en juin 1946, exprime aussi le soulagement des classes dirigeantes italiennes d’avoir évité que la chute du fascisme ne débouche sur une révolution.
Au moment où commençaient à se dessiner la fin de la guerre et la victoire des Alliés, le régime fasciste instauré en Italie en octobre 1922 pour briser les velléités révolutionnaires de la classe ouvrière se révélait un maillon faible. Dès mars 1943, une puissante vague de grèves naquit dans le nord du pays. La classe ouvrière exprimait sa lassitude de la guerre, des privations, de la dictature que faisait peser le régime. Mais elle ne montrait pas seulement son aspiration à en finir avec le fascisme. Elle montrait aussi qu’elle pouvait se porter candidate à exercer elle-même le pouvoir, à exproprier les capitalistes qui avaient pu maintenir leur dictature grâce à Mussolini et avaient jeté le pays dans une aventure guerrière sans issue.
La bourgeoisie italienne change de camp
En même temps, la situation militaire évoluait pour l’Italie fasciste, qui dans la guerre avait lié son sort à celui de l’Allemagne nazie. La bourgeoisie italienne, soucieuse de ne pas être entraînée dans la débâcle, se prépara à changer de camp. En juillet 1943, les troupes alliées débarquèrent en Sicile. Le 25 juillet, une conjuration de palais, avec l’accord du roi, mit fin aux fonctions de Mussolini, décidant son emprisonnement et le remplaçant par un militaire, le maréchal Badoglio. Le 8 septembre 1943 enfin, on apprenait que l’Italie mettait fin aux opérations militaires et avait signé, séparément de l’Allemagne, un armistice avec les Alliés anglo-américains.
Alors que les troupes alliées progressaient au sud, les troupes allemandes déferlèrent sur le Nord pour se substituer à leur allié défaillant. Mussolini, enlevé de sa prison par un commando allemand, reconstitua un gouvernement fasciste au nord, sous le nom de République de Salò. La péninsule devint un des principaux théâtres de la guerre.
Mais ce 8 septembre 1943 posa aussi le problème du régime qui succéderait au fascisme. Ce jour-là, le retournement d’alliance du pays fut aussi un jour de débandade pour l’État italien. Les soldats, laissés sans ordres et sans consignes, n’eurent pour beaucoup pas d’autre choix que de se rendre aux troupes allemandes ou bien de déserter ou de constituer des maquis. Le roi, de son côté, n’eut d’autre souci que de sauver sa peau en quittant Rome pour aller reconstituer sa cour à Brindisi, dans le Sud, sous la protection des troupes alliées. L’appareil d’État de la bourgeoisie italienne perdait toute autorité et en fait s’écroulait, laissant la population, les autorités locales, les soldats livrés à eux-mêmes dans un pays devenu un champ de bataille.
Pendant que Badoglio et le roi reconstituaient tant bien que mal une autorité au sud à l’ombre des troupes alliées, un Comité de libération nationale se forma au nord, sous le nom de CLNAI (Comité de libération nationale de Haute-Italie), tentant d’imposer son autorité aux troupes de partisans constituées le plus souvent à partir des débris de l’armée. Mais, en son sein, le parti disposant de la plus grande autorité s’avéra rapidement être le Parti communiste reconstitué, jouissant du prestige conféré par les victoires militaires de l’URSS et disposant de cadres aguerris, pour beaucoup convaincus que la fin du fascisme ne pouvait déboucher que sur la révolution prolétarienne.
Togliatti à la rescousse de l’État bourgeois
C’est à ces cadres médusés que le dirigeant du PC italien Palmiro Togliatti, retour d’URSS en mars 1944, annonça qu’il n’en serait rien. Conformément à la politique de Staline, il ne devait pas être question de révolution. Togliatti annonça son plein appui au gouvernement du roi et de Badoglio, un homme qui quelques années auparavant était encore le chef de l’armée de Mussolini. Au nom de l’antifascisme, la classe ouvrière devait accepter de s’allier avec la bourgeoisie et avec ses pires ennemis, sur la simple promesse qu’après la guerre le gouvernement du pays deviendrait démocratique.
Le PC allait devenir la principale force présente au sein des maquis qui combattaient les troupes allemandes et qui souvent intervenaient jusque dans les villes. Mais il mit aussi tout son poids pour empêcher que la classe ouvrière ne s’oriente vers une politique indépendante et ne commence à créer ses propres organes politiques, qui auraient pu offrir une alternative à la reconstitution du pouvoir bourgeois.
En avril 1945, après presque deux ans de guerre sur le territoire italien, la défaite allemande vit les troupes de Hitler refluer vers le nord, tentant de regagner leur pays. Le CLNAI appela alors les partisans à prendre, avant même l’arrivée des troupes anglo-américaines, les villes que les troupes allemandes s’apprêtaient à évacuer. Le 25 avril vit ainsi arriver dans les villes du Nord des troupes de partisans descendus des montagnes voisines. Tandis que les usines étaient appelées à la grève, ils s’attaquaient aux troupes allemandes et prenaient le contrôle de Gênes, Milan, Turin et de nombreuses autres villes. Dans les jours qui suivirent, Mussolini et sa compagne Claretta Petacci, qui cherchaient à gagner la Suisse, furent rejoints et exécutés par un groupe de partisans et leurs corps exposés, suspendus à des crocs de boucher, Piazza Loreto à Milan. Le CLNAI déclara exercer tous les pouvoirs.
Les troupes anglo-américaines n’entrèrent que quelques jours plus tard, début mai, dans les villes du Nord. L’insurrection du 25 avril apparut ainsi comme celle de l’Italie populaire, démocratique et partisane, se libérant elle-même du pouvoir fasciste allié de Hitler. Mais cela couvrait, en particulier de la part du Parti communiste stalinien, une opération politique bien moins avouable. L’insurrection d’avril n’avait rien d’une révolution sociale. Le pouvoir qui se remettait en place, sous ses habits plus démocratiques, allait en fait conserver l’essentiel des cadres de l’ancien appareil d’État, de la monarchie et du régime fasciste, avec ses juges, ses policiers, ce qu’il restait de son armée. Et surtout il allait permettre à la bourgeoisie capitaliste, celle-là même qui avait appelé Mussolini au pouvoir en 1922, de conserver sa puissance, ses capitaux, ses richesses. Le Parti communiste, comme en France à la même époque, allait mettre tout son poids pour convaincre la classe ouvrière que désormais l’heure n’était pas à revendiquer, encore moins à exercer le pouvoir dans les usines et dans le pays, mais bien à se retrousser les manches pour reconstruire l’économie.
Le capitalisme italien remis en selle
L’économie allait être reconstruite, mais bien moins au profit des classes populaires qu’à celui d’une bourgeoisie qui reprenait sa place parmi ses consœurs impérialistes. En juin 1946, un référendum mit fin à la monarchie et renvoya la famille royale qui pendant plus de vingt ans s’était compromise avec Mussolini. L’opération visant à rénover la façade de l’État italien se complétait de la mise en place d’une République prétendument sociale qui, dans sa Constitution, affirme qu’elle est « fondée sur le travail ».
En 1947, le Parti communiste qui avait si bien collaboré à cette opération de recyclage politique, jugé désormais moins utile, fut renvoyé dans l’opposition. Il n’en allait pas moins continuer, jusqu’à ses héritiers du Parti démocrate d’aujourd’hui devenus de simples ministres bourgeois, de présenter le 25 avril 1945 comme une grande victoire démocratique et sociale. Pour les travailleurs qui tous les jours subissent les attaques du grand capital, c’est une immense tromperie.