Ukraine : Le son du canon et le sang des peuples03/09/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/09/une2405.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : Le son du canon et le sang des peuples

Les dirigeants ukrainiens annonçaient comme imminent, début août, l'assaut final sur les bastions séparatistes prorusses de Donetsk et de Lougansk, dans l'est du pays. Depuis, ils viennent d'accepter un cesser le feu permanent, car leur armée recule partout, et pas seulement sur le front qui vient de s'ouvrir plus au sud, avec la possibilité que les prorusses, épaulés militairement par le Kremlin, s'y emparent du grand port de Marioupol.

Les forces de Kiev, pourtant renforcées par des conseillers militaires occidentaux, accumulent les revers et ont cédé une partie du terrain reconquis depuis mai. Avions abattus, navires de guerre perdus, soldats s'enfuyant en jetant armes et bagages... Même si les renforts matériels et humains (1 000 soldats russes selon l'OTAN, 3 000 à 4 000 « volontaires » selon les chefs du camp prorusse) que Moscou fournit aux séparatistes y sont pour beaucoup, cela n'explique pas tout.

Une « grande guerre » Russie-Ukraine ?

Nombre de conscrits ukrainiens, russophones ou pas, n'ont aucune envie de faire la guerre à leur propre population. Cela a forcé Kiev à former des « unités spéciales » de volontaires, sinon de mercenaires, pour servir de fer de lance à la reconquête de l'Est. La principale, le bataillon Donbass, vient d'être défaite, essuyant de lourdes pertes.

Le président ukrainien Porochenko répétait ces derniers temps : « Nous avons besoin d'armes. » Et son ministre de la Défense de prédire une « grande guerre » contre la Russie, dont les victimes, prévient-il, ne se compteront plus en milliers, comme jusqu'à maintenant, mais « par dizaines de milliers ». Quant au nouveau président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, évoque un conflit qui ne se limiterait « pas seulement à l'est de l'Ukraine ».

Les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, etc., soutiennent un gouvernement ukrainien qui se place dans leur camp et qui demande à entrer dans leur alliance militaire, l'OTAN. Mais, jusqu'à maintenant, les grandes puissances impérialistes semblent se satisfaire d'avoir fait basculer Kiev de leur côté. Obama dit et redit qu'il ne veut pas intervenir contre la Russie. L'Union européenne, tout en évoquant de nouvelles sanctions économiques contre Moscou, qu'elle présente comme seule responsable de la situation, reste divisée et sur la nature et sur l'opportunité de telles mesures. Et la Slovaquie, dit-on, aurait brisé l'unanimité, indispensable à l'adoption de nouvelles sanctions, des 28 États de l'Union.

Dépendant des fournitures de gaz russe, la Slovaquie ne voudrait pas s'exposer à des rétorsions russes à l'approche de l'hiver... Mais si elle a le dos large, cela ne suffit pas à cacher les intérêts très concrets, et déterminants dans l'affaire, des grandes puissances européennes.

Ainsi, le secteur militaro-industriel français ne veut pas renoncer à livrer à la Russie en octobre les deux navires de guerre Mistral qu'elle lui a commandés. Quant à la City britannique, elle n'apprécie pas que l'on restreigne l'accès des entreprises et autorités russes aux financements occidentaux, dont une bonne part se négocie à Londres. Et il ne faudrait pas oublier l'Allemagne, dont le groupe Rewe, entre autres, s'est taillé, au côté du français Auchan, la part du lion dans la grande distribution en Russie : tous deux, comme bien d'autres groupes occidentaux moins connus, voient d'un mauvais oeil ce qui peut perturber la bonne marche de leurs affaires.

Les Hollande, Merkel ou Cameron invectivent donc Poutine, mais pour la galerie. On l'a vu à Moscou, avec la récente conférence de la chambre de commerce et d'industrie franco-russe. Son président, un Français, y a déclaré que « les États-Unis peuvent se permettre de prendre des sanctions, puisque leur commerce avec la Russie représente à peine 18 milliards d'euros, soit moins d'un dixième de celui de l'Union européenne avec la Russie ». Et d'ajouter qu'avec ces sanctions « l'Europe se tire une balle dans le pied ». Cela a le mérite de la franchise.

Des peuples pris au piège

Cela ne change rien au fait que les balles, elles bien réelles, pleuvent sur les habitants de l'est de l'Ukraine. Et les ravages de cette guerre vont bien au-delà du Donbass.

Dans toute l'Ukraine, les secteurs les plus nationalistes comptent profiter, lors des législatives d'octobre, du discrédit de l'équipe actuellement aux commandes. Alors que le pays est plongé dans une profonde récession et un chômage qui se généralise, un renforcement du poids de l'extrême droite pourrait en résulter, dont la population laborieuse serait la première victime.

En Russie, Poutine cherche à conforter sa position autour d'une série d'idées, toutes plus réactionnaires les unes que les autres, exaltant le passé tsariste. Il voudrait qu'on le crédite d'avoir restauré la Nouvelle Russie des tsars sur le pourtour de la mer Noire, ce qui correspond au sud-est ukrainien actuel. Ce faisant, il distille la haine entre des peuples, ukrainien et russe, que des siècles d'un passé commun ont unis et entremêlés. Et, en Russie, il veut obliger les travailleurs à faire bloc derrière un pouvoir qui assure à leurs dépens les revenus des parasites du cru.

Face à un pouvoir ukrainien affaibli, le Kremlin réclame maintenant que l'est de l'Ukraine obtienne un statut étatique. Il a agi de la même façon dans d'autres régions de l'ex-URSS. La Transnistrie en Moldavie, l'Ossétie et l'Abkhazie en Géorgie, le Haut-Karabakh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan lui ont servi à faire pression sur des régimes qui se détournaient de Moscou. Aujourd'hui, face au chaos qui a gagné l'Ukraine en quelques mois et qui pourrait s'étendre, Poutine estime peut-être que l'impérialisme pourrait se résigner à ce qui lui apparaîtrait comme une forme de stabilisation de la situation...

Quoi qu'il en soit, les choix et les intérêts des populations concernées n'entrent en ligne de compte ni d'un côté, ni de l'autre. Et, avec ce conflit en Ukraine, c'est tout un pan de l'Europe que les manoeuvres et rivalités des grandes puissances ont commencé à déstabiliser, en opposant entre elles des populations soeurs, contraintes à choisir un des deux camps qui se combattent.

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