Ukraine : Escalade répressive et tractations en coulisses29/01/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/01/une2374.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : Escalade répressive et tractations en coulisses

Après deux mois d'affrontements entre le pouvoir et des manifestants qui ne se reconnaissent guère dans l'opposition parlementaire, après que des manifestants ont été tués par balle ou battus à mort, qu'est-ce qui peut sortir de la session extraordinaire du Parlement ukrainien, la Rada, consacrée à cette crise ?

Le pouvoir du président Ianoukovitch, qui vient de renoncer à promulguer l'état d'urgence et dont le Premier ministre vient de démisionner, est visiblement affaibli. Et pas seulement parce qu'il n'est toujours pas parvenu à juguler la contestation, que ce soit par la force ou en tentant d'associer une partie de l'opposition officielle. Son offre de lui concéder les postes de Premier ministre et de vice-Premier ministre a été rejetée, les politiciens pressentis ne tenant visiblement pas à se retrouver otages du pouvoir et de son discrédit.

Car si, au début du mouvement voici deux mois, celui-ci semblait viser le rejet de dernière minute d'un accord d'association avec l'Union européenne, il est probable qu'aujourd'hui une partie de l'opinion que ce rejet n'émouvait guère partage de plus en plus le dégoût d'un vaste public pour le pouvoir et ses méthodes répressives. Il n'y a pas que les manifestants bien organisés, souvent par l'extrême droite nationaliste, qui occupent la place de l'Indépendance à Kiev, à vomir la corruption du régime, le pillage auquel se livrent ses protégés. Même si, il y a quatre ans, nombre d'électeurs avaient élu Ianoukovitch à la présidentielle par rejet de l'équipe précédente, tout aussi gangrenée par la corruption, c'est évidemment l'équipe aux commandes, celle des « bandits » dénoncés par les manifestants, qui focalise une bonne part du ressentiment social, quand le pays est au bord de la cessation de paiement.

Après la rupture de Kiev avec Bruxelles, Moscou a « offert » à l'Ukraine les 15 milliards de dollars que lui refusait l'Union européenne. Cela repousse, pour un temps, les échéances et évite aux autorités de se retrouver, comme voici quelques années, étranglées par les conditions du FMI et autres bailleurs de fonds occidentaux, avec le risque que cela provoque une crise sociale majeure.

Mais, à la place, le pouvoir se retrouve avec une crise politique de grande ampleur dont il ne sait comment sortir. Une crise qui, en outre, fait l'étalage de sa faiblesse, quand sa police semble incapable de reprendre le contrôle d'une des principales places de la capitale, qu'elle se fait déloger de bâtiments officiels, tandis que les manifestants semblent pouvoir s'emparer de ministères quand et comme ils veulent ; quand des lois criminalisant les manifestations doivent être abrogées, à peine adoptées. Même dans les provinces de l'est et du sud, russophones et souvent présentées un peu vite comme soutenant le pouvoir par rejet des nationalistes ukrainiens, eux surtout implantés dans l'ouest du pays, les autorités locales semblent se demander comment le vent va tourner à Kiev. En tout cas, elles n'ont pas toujours témoigné d'un grand zèle pour empêcher de petites minorités contestataires de s'exprimer.

Un pareil contexte fait les choux gras de l'extrême droite nationaliste. Très organisée et disposant de moyens non négligeables pour acheminer des renforts depuis l'ouest du pays où se trouvent ses bastions, elle n'a guère de difficultés à se présenter comme à la pointe de la contestation, accusant l'opposition parlementaire de faiblesse, sinon de couardise face à un régime qui a du sang sur les mains.

Les puissances occidentales, qui ont soufflé sur les braises en soutenant bruyamment pendant des semaines ceux que leur presse et leurs gouvernants qualifiaient de manifestants « proeuropéens », quand bien même il s'agissait de militants de la mouvance ultranationaliste sinon néo-nazie, s'inquiètent aujourd'hui de voir la situation échapper à tout contrôle en Ukraine, et des répercussions que pourrait avoir la déstabilisation durable d'un pays aussi vaste que la France, peuplé de 48 millions d'habitants et voisin immédiat de l'Union européenne.

Il est certain que cela a été le thème principal du sommet Union européenne-Russie, qui vient de se tenir le 28 janvier. Les dirigeants de cette Union européenne vilipendaient la Russie et Poutine, il y a deux mois, lorsque le gouvernement ukrainien n'avait pas donné suite aux offres de Bruxelles. Maintenant, ils se comportent comme s'ils souhaitaient - mais sans l'avouer ouvertement - que la Russie aide à remettre de l'ordre dans une situation qu'ils ont contribué à déstabiliser. Et tant pis pour les illusions des manifestants kiéviens qui croyaient que cette Europe-là n'avait que de bonnes choses à leur apporter...

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