Grande-Bretagne : Benefits Street, le visage inavouable de la crise29/01/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/01/une2374.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : Benefits Street, le visage inavouable de la crise

Signe des temps, car il est rare que la télévision britannique s'intéresse aux plus pauvres, la chaîne publique Channel 4 a programmé une série documentaire intitulée Benefits Street (Rue des Allocations sociales) sur la montée de la pauvreté dans la crise. Les premiers épisodes auront à la fois suscité l'intérêt des téléspectateurs, puisqu'ils ont fait exploser l'audimat, et déclenché une violente polémique.

Selon son producteur, le but de la série était de montrer la vie des habitants de la rue James Turner, une rue d'un quartier pauvre de la grande agglomération ouvrière de Birmingham, dans laquelle la majorité des foyers vivent, ou plutôt survivent, difficilement grâce aux diverses allocations sociales dont peuvent bénéficier les plus pauvres.

Mais cet objectif avoué cache de toute évidence des intentions moins avouables. D'abord, celle de faire dans le sensationnel, en recourant à un voyeurisme complaisant qui fait parfois grincer des dents. Mais surtout, celle de ne rien faire pour contredire la virulente campagne que mène le gouvernement Cameron pour justifier ses réductions brutales des dépenses sociales, campagne qui traite les bénéficiaires d'allocations sociales en parasites responsables de leur pauvreté, voire en criminels en puissance.

Cela étant, par-delà ces limites, cette série a au moins le mérite de montrer une réalité sociale que l'on cache en général. Les habitants de la rue James Turner ont été marginalisés pour toutes sortes de raisons : maladie, handicap, enfance difficile, divorce, alcoolisme ou drogue. Pour certains, la dégringolade date d'avant la crise, car c'est dès les années 1980 que la pauvreté a commencé à monter en puissance. Ils vivent confinés dans une rue de taudis centenaires, à peine meublés, où plus grand-chose ne marche, mais dont les propriétaires vivent grassement grâce aux allocations logement versées directement par l'État, qui leur permettent d'exiger des loyers exorbitants compte tenu de l'état des logements.

Quant aux fameuses allocations sociales qui, selon le gouvernement, seraient devenues un mode de vie, elles sont tellement dérisoires que la seule issue pour les familles est l'endettement, voire, quand cela ne suffit plus, le recours à des combines plus ou moins légales. C'est une spirale sans fin, que même les rares périodes où on arrive à trouver un job précaire de quelques heures par semaine ne parviennent pas à ralentir. De toute façon, de l'embauche, il n'y en a pas, et surtout pas pour les habitants de la rue James Turner. Quand l'un d'eux finit par trouver un travail, c'est pour collecter des dons pour un organisme charitable, au porte-à-porte, sans autre rétribution qu'un pourcentage dérisoire sur les dons collectés. Et comme il ne récolte rien après plusieurs journées passées dans les rues, il finit par abandonner, découragé.

Comme on pouvait s'y attendre, la presse proche du parti de Cameron a saisi l'occasion pour redoubler ses appels en faveur d'une réforme du système d'aide sociale prétendument « trop généreux », voire pour réclamer la suppression immédiate de leurs allocations aux habitants de la rue James Turner. Et c'est pratiquement sur le même ton que le ministre des Affaires sociales, Ian Duncan-Smith, a condamné les dysfonctionnements d'un système de protection qui encouragerait les chômeurs à s'installer dans l'assistanat et dans la ghettoïsation. La réforme de ce système, qui doit entrer en vigueur cette année devrait, selon lui, régler le problème, en aggravant encore les mesures de rétorsion contre les chômeurs qui se risqueraient à refuser un « emploi » de quelque nature que ce soit, même non payé, et en réduisant une fois de plus le montant des allocations.

Mais, bien sûr, pas plus le gouvernement que le Parti travailliste, qui de son côté a condamné cette série télévisée comme une tentative de discréditer le système de protection sociale, n'ont évoqué le véritable problème soulevé par Benefits Street. S'il y a des assistés dans cette affaire, ce ne sont pas tant les allocataires sociaux que la bourgeoisie britannique. En effet, depuis son introduction en 1947, et plus encore depuis les années 1980, le système de protection sociale a permis à la bourgeoisie d'entretenir une armée industrielle de réserve sans trop s'exposer à des troubles sociaux. Il a également permis à toute une partie du patronat de maintenir les salaires à un niveau très bas, et à une classe de propriétaires fonciers d'assurer la rentrée régulière de leurs loyers.

Et puis, surtout, ce que cette série éclaire d'un jour cru, c'est le dysfonctionnement de cette société, incapable d'offrir une place, ni même la moindre lueur d'espoir, à une partie de ses membres, et qui les enfonce alors même qu'ils se débattent contre la pauvreté.

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