Yasser Arafat : Le bilan d'une politique10/11/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/11/une1893.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Yasser Arafat : Le bilan d'une politique

Combien de temps Yasser Arafat restera-t-il entre la vie et la mort à l'hôpital Percy de Clamart où il est hospitalisé depuis le 29octobre, après que son état de santé s'est brusquement aggravé? Nul ne peut le dire tant les bulletins de santé, contrôlés par son entourage, sont laconiques. Mais sa mort éventuelle n'en a pas moins déjà provoqué une crise entre les dirigeants palestiniens susceptibles de lui succéder et l'épouse d'Arafat. Sans ambages, celle-ci les a accusés, en cherchant à hériter de son pouvoir, de vouloir l'"enterrer vivant".

Ainsi, tandis que les dirigeants israéliens se préoccupent des mesures à prendre en vue des obsèques, qui pourraient entraîner d'énormes manifestations alors que les représentants de nombreux États seront sans doute présents, l'incertitude règne aussi sur qui succédera à Arafat à la tête de l'Autorité palestinienne, cette ombre de pouvoir d'État qui est la seule chose qu'Israël ait concédée, à lui et à ses proches, en plus de quarante ans de lutte nationale palestinienne.

Aux yeux du monde entier, Arafat symbolise la lutte du peuple palestinien, ce peuple auquel l'État d'Israël -et les dirigeants des grandes puissances qui le soutiennent- nie obstinément depuis des décennies le droit à une véritable existence nationale et dont il cantonne une grande partie dans de sinistres camps de réfugiés. La popularité d'Arafat reste certainement très grande parmi les Palestiniens et même plus largement dans le monde arabe. Et pourtant la politique d'Arafat et de son organisation, le Fatah, est responsable de bien des échecs et de bien des occasions manquées pour le peuple palestinien.

Pour celui-ci, obtenir la reconnaissance de ses droits était certes très difficile, alors que les dirigeants israéliens, en se faisant les agents directs de la politique impérialiste dans un Moyen-Orient riche en pétrole, bénéficiaient de la part des puissances occidentales, et en premier lieu des États-Unis, d'un soutien sans faille mesurable en dizaines de milliards de dollars et en masses d'armements. Mais à de nombreuses reprises, la politique des dirigeants palestiniens leur a fait tourner le dos aux issues qui pouvaient se présenter pour leur peuple.

La question palestinienne a représenté pendant des années un potentiel explosif pour tout le Moyen-Orient et le représente toujours. Cristallisant autour d'eux les sentiments d'opposition des masses des pays arabes à l'égard de la politique de l'impérialisme, les Palestiniens ont suscité autour d'eux des sentiments de solidarité, depuis le Maroc jusqu'à l'Irak et à l'Egypte, et même au-delà dans tout le Tiers Monde. Dans plusieurs cas, ces sentiments ont été jusqu'à entraîner des luttes et des crises sociales et politiques dans les pays mêmes où les réfugiés palestiniens étaient présents, organisés et armés. Ce fut le cas notamment en Jordanie, en 1969-1970, et au Liban lors de la guerre civile qui éclata dans ce pays en 1975.

À ce moment les principaux dirigeants palestiniens, et en particulier Arafat, ne reculaient pas devant les discours tiers-mondistes ou les appels à la solidarité de tous les Arabes pour combattre l'impérialisme et Israël. Ils ne reculaient pas non plus devant les surenchères, appelant à la "destruction de l'État d'Israël" ou rivalisant dans l'organisation de détournements d'avions visant à asseoir leur image de radicalisme. Mais lorsque, concrètement, ils auraient pu se porter à la tête de la lutte des masses au Liban ou en Jordanie, ils firent le choix inverse: celui de se placer du côté des dirigeants et des régimes en place.

Ainsi, en Jordanie, lors du "Septembre Noir" de 1970, le roi Hussein put écraser sous les bombes les camps et les milices palestiniennes qui menaçaient son pouvoir, sans qu'Arafat appelle ses partisans à se dresser contre le bourreau de son peuple. Au contraire, quelques jours à peine après le massacre, on le vit dans une poignée de mains spectaculaire se réconcilier avec Hussein comme si ce massacre n'avait été qu'un regrettable malentendu.

Au Liban, alors qu'en 1975 la mobilisation des masses pauvres aux cotés des Palestiniens entraînait en retour le déclenchement d'une guerre civile par l'extrême droite, on vit Arafat proclamer que sa lutte ne concernait que la Palestine et rien que la Palestine, contribuant à renforcer tous ceux qui, au Liban, ne voulaient que le maintien d'un régime de plus en plus haï dans les couches populaires.

Arafat, et derrière lui l'OLP, l'Organisation de Libération de la Palestine, y ont gagné une reconnaissance internationale, de la part des États arabes d'abord, puis des principales grandes puissances et de l'ONU. Mais en réalité cette reconnaissance n'était pas une reconnaissance des droits des Palestiniens: c'était reconnaître Arafat comme une assurance. Il s'était révélé en effet, comme un des meilleurs atouts à utiliser contre l'explosion toujours possible de la révolte des masses palestiniennes et arabes.

C'est ainsi qu'en 1993, alors que la première Intifada s'avérait impossible à vaincre par la répression de leurs troupes, les dirigeants israéliens finirent par signer les accords d'Oslo. En reconnaissant à l'OLP et à Arafat, sous la forme de l'Autorité palestinienne, un semblant de pouvoir dans les territoires occupés, ils obtenaient aussi la fin de l'Intifada. Après quoi ils exigèrent de cette Autorité et d'Arafat qu'ils se plient toujours plus à leurs exigences. Et finalement, les dirigeants israéliens, Netanyahou, Barak, et Sharon ensuite, rejetèrent de plus en plus Arafat, réduisant presque à néant les accords d'Oslo au motif que, décidément, Arafat n'était pas encore assez malléable.

Malgré tout le peuple palestinien est toujours là, et tous les assauts de Sharon ou de ses successeurs n'arriveront pas à le vaincre. Mais cela est dû bien plus à sa lutte, à son opiniâtreté, à ses sacrifices, qu'à la politique d'un Arafat qui, à plusieurs reprises, l'a conduit au désastre.

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