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- Lutte ouvrière n°1893
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Editorial
Retrait de l'armée française de Côte-d'Ivoire !
Au temps de l'empire colonial français, la Côte-d'Ivoire était une colonie modèle. Grand producteur de cacao et de café, le pays rapportait gros. Pas à la population, à part une petite couche d'autochtones, mais à ceux, Français en particulier, qui savaient faire fortune dans les colonies! Et surtout aux groupes capitalistes français qui contrôlent le transport maritime, le port, le grand commerce et les banques.
Abidjan, de modeste capitale de la Côte-d'Ivoire, devint le centre économique de toute cette partie de l'Afrique, jusqu'au Burkina et au Mali, d'où on fit venir des ouvriers pour les plantations comme pour les docks et les chantiers.
Ce qu'on a appelé le miracle économique ivoirien s'est prolongé après la décolonisation. Le premier chef de l'État ivoirien indépendant, Houphouët-Boigny, ex-ministre de plusieurs gouvernements français, a gouverné le pays pendant trente ans d'une main de fer, enrichissant sa famille et son clan, mais surtout protégeant les grands intérêts français. Il pouvait compter en contrepartie sur l'appui de Paris et sur la présence de l'armée française.
Mais pendant que poussaient les buildings dans les quartiers d'affaires et les villas dans les quartiers résidentiels, où se mêlent classe dirigeante locale et cadres de grandes sociétés, poussaient aussi d'immenses bidonvilles, sans équipements, sans hygiène, où s'agglutinaient des centaines de milliers de travailleurs, de chômeurs, originaires de toutes les régions du pays comme des pays avoisinants.
Les habitants de ces immenses bidonvilles n'ont jamais profité du miracle économique. Ils ont pourtant subi les conséquences de la fin de celui-ci. Et ces conséquences n'étaient pas que matérielles.
À la mort du vieux dictateur Houphouët-Boigny, s'est déclenchée une guerre de succession qui, depuis plus de dix ans, ravage la Côte-d'Ivoire. Une guerre de succession dont les antagonistes ont cherché à se faire une popularité en développant une démagogie xénophobe, visant les immigrés mais aussi les ethnies du nord du pays.
La France s'est fort bien accommodée de ce climat tant que le chef d'État en place préservait les intérêts français. Mais, de coup d'État en élection truquée, les antagonismes ethnistes attisés par les dirigeants ont fait éclater en deux l'État lui-même. Une partie de l'armée a fait sécession et contrôle le nord du pays, pendant que le gouvernement officiel, celui de Gbagbo, contrôlait, avec le soutien de la France, la partie méridionale, la plus riche en ressources, celle aussi où se trouve Abidjan.
C'est à l'occasion d'une tentative de l'armée gouvernementale de reconquérir le Nord que ses avions ont bombardé une base des forces d'interposition françaises. La riposte de Chirac a fait éclater la haine accumulée contre la présence française. En laissant ses milices manifester contre cette présence, Gbagbo ne fait que spéculer sur les sentiments de la population. Ce n'est qu'un chantage pour que Paris le soutienne plus qu'il ne le fait. Mais les sentiments sur lesquels il spécule sont réels.
L'armée française essaie d'attribuer un caractère humanitaire à son intervention. Mais son déploiement ne fait que jeter de l'huile sur le feu, tant il est visible que ce ne sont pas les intérêts de la population qui la guident.
Les troupes françaises rétabliront, peut-être, à Abidjan, pour quelque temps, un calme apparent. Elles ne protégeront pas la population originaire du Nord, du Burkina ou du Mali contre la violence xénophobe des milices du gouvernement Gbagbo -elles ne le prétendent même pas. En revanche, chaque mort qu'elles feront aggravera les sentiments contre la France. Les 15000 résidents français, cadres des grandes sociétés, commerçants divers, ceux qui en tout cas n'ont pas les moyens de partir, paieront peut-être les pots cassés. Bolloré, Bouygues et quelques autres continueront à prélever du profit sur un pays qui s'appauvrit.
L'armée française ne fait rien d'autre en Côte-d'Ivoire, comme dans les autres ex-colonies françaises en Afrique, que semer la haine.
Arlette LAGUILLER
Éditorial des bulletins d'entreprise du 8 novembre 2004