11 novembre : La barbarie impérialiste n'est pas morte10/11/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/11/une1893.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

11 novembre : La barbarie impérialiste n'est pas morte

Quatre-vingt six ans après la signature de l'armistice qui, le 11 novembre 1918, sonna la fin des tueries entre soldats allemands et français, les discours officiels rivalisent d'attitudes étudiées, de réflexion et d'émotion pour commémorer un des plus monstrueux massacres qu'ait connus l'humanité. Mais ceux qui prononcent ces discours, les dirigeants politiques des États européens, sont en réalité les héritiers directs de ceux qui déclenchèrent le conflit. Et ils sont malheureusement toujours capables, l'actualité le prouve régulièrement, d'en déclencher de nouveaux.

Cette Grande Guerre, comme l'Histoire l'a nommée, eut d'abord pour visage celui des tranchées: des kilomètres de boyaux creusés dans le sol, des kilomètres de barbelés, des mitrailleuses, des mines, des pièges. L'assaillant était dans une telle position de faiblesse par rapport au défenseur qu'aucun camp ne pouvait lancer d'offensive d'envergure. Hugo Müller, soldat allemand mort à 24 ans, en 1916, écrivait en octobre 1915: "Il est des plus intéressant d'étudier la correspondance des Français tués ou prisonniers. Exactement comme chez nous, revient aussi là-bas très souvent la question: Quand cela finira-t-il? [...] Dans chaque lettre, mère, femme, fiancée, enfants, amis, dont les photographies étaient souvent jointes, espéraient un retour joyeux et prochain, et maintenant ils gisent tous là, morts et à peine enfouis entre les tranchées, et au-dessus d'eux les balles sifflent et les obus chantent leur horrible chant de mort. Tant mieux pour ceux que nous, ou ceux d'en face, avons pu au moins enterrer à peu près décemment, mais encore aujourd'hui il y a des lambeaux de corps humains dans les barbelés. Devant notre tranchée, il y a peu de temps, il y avait encore une main avec une alliance, à quelques mètres de là il y avait un avant-bras dont il ne restera finalement que les os. Que la chair humaine semble bonne pour les rats! C'est affreux.

Qui ne connaît pas la terreur l'apprend ici... Si la nuit je vais seul par les tranchées et les sapes, ici et là on entend des bruits et à tout moment un soldat noir peut vous sauter à la gorge. Par une nuit d'encre c'est parfois réellement terrifiant; mais avec le temps je me suis habitué et je suis devenu aussi indifférent que nos"Landser" (l'équivalent de poilu). La guerre abrutit le coeur et les sentiments; elle rend l'homme indifférent face à tout ce qui, autrefois, le troublait et l'émouvait."

De ces poilus, en France, il ne reste aujourd'hui que 15 survivants, tous centenaires. Mais de nombreux textes, lettres, Mémoires, de nombreuses photos et quelques documents filmés peuvent témoigner de la barbarie de cette guerre qui, parmi 42 millions d'hommes engagés, assassina 2 millions d'Allemands, 2 millions de Russes, 1 350000 Français et habitants des colonies françaises, 1300000 Autrichiens et Hongrois, 900000 Britanniques et habitants de l'Empire, 600000 Italiens, 400000 Turcs, 350000 Serbes, 300000 Roumains, 120000 Américains, 100000 Bulgares, 45000 Belges, 8000 Portugais, 3000 Monténégrins, 1000 Japonais et 200 Luxembourgeois. Au total, plus de 8600000 morts, sans compter les disparus. Les populations civiles ne furent pas épargnées par les bombes ni les famines, qui causèrent 800000 morts en Allemagne, 30000 en Belgique, un million en Serbie et Autriche-Hongrie, deux millions en Russie et 800000 en Roumanie.

Le conflit en effet était devenu mondial, avec l'Italie, la Roumanie, la Grèce, le Portugal, la Chine, le Japon et enfin les États-Unis qui s'étaient joints à la France et à l'Angleterre. Pour leur part, la Turquie et la Bulgarie s'étaient rangées du côté de l'Allemagne et de l'Autriche. Les grandes puissances en compétition envoyaient au massacre des millions d'hommes et de femmes, afin de prendre la plus grande part possible dans le partage et le pillage des richesses mondiales.

Lénine écrivait en août 1918 dans sa Lettre aux ouvriers américains: "Les brigands de l'impérialisme anglais étaient les plus forts quant au nombre de leurs "esclaves coloniaux". Les capitalistes anglais n'ont pas perdu un pouce des territoires "qui leur appartenaient" (c'est-à-dire qu'ils ont raflés au cours des siècles); bien au contraire, ils ont fait main basse sur toutes les colonies allemandes en Afrique, sur la Mésopotamie et la Palestine, ils ont pris la Grèce à la gorge et entrepris de piller la Russie.

Les brigands de l'impérialisme allemand étaient les plus forts quant au degré d'organisation et à la discipline de"leurs" troupes, mais les plus faibles sous le rapport des colonies. Ils ont perdu toutes leurs colonies, mais ils ont pillé la moitié de l'Europe, étranglé le plus grand nombre de petits pays et de peuples faibles. [...]

Les milliardaires américains étaient peut-être les plus riches de tous et se trouvaient, géographiquement parlant, le plus en sécurité. Ce sont eux qui ont le plus gagné. Ils ont fait de tous les pays, même les plus riches, leurs tributaires. Ils ont raflé des centaines de milliards de dollars. [...]

Si les brigands d'Allemagne ont battu tous les records par la férocité de leurs répressions militaires, les brigands anglais ont battu tous les records, non seulement par le nombre des colonies dont ils se sont saisis, mais aussi par le raffinement de leur abominable hypocrisie. La presse bourgeoise anglo-française et américaine déverse justement à l'heure actuelle, à des millions et des millions d'exemplaires, le mensonge et la calomnie sur la Russie."

Car après Verdun, après le Chemin-des-Dames, des régiments refusèrent de monter en ligne. En 1917, des mutineries éclatèrent. En Russie, la révolution commença. Epuisés par la famine, révoltés par la guerre et les conditions dans lesquelles la population, à l'arrière, tentait de survivre, les ouvriers et les paysans russes sous l'uniforme, comme les prolétaires des usines de Petrograd et d'autres grandes villes russes, montèrent à l'assaut du pouvoir, que le tsar puis la bourgeoisie durent céder.

Dans nombre de pays belligérants, les peuples rejetaient la guerre que leurs dirigeants leur imposaient et démasquaient le mensonge patriotique qui tentait de couvrir leur appétit de conquêtes. Malgré les trahisons des dirigeants des Partis Socialistes, qui presque tous se rangèrent derrière leur bourgeoisie, les ouvriers retrouvèrent, derrière ceux qui étaient restés fidèles à l'internationalisme, le chemin de la lutte de classes. Après l'Empire du Tsar, ce fut le tour du Reich: les mutineries dans la marine de guerre, les grèves ouvrières, les manifestations obligèrent l'état-major et les classes possédantes à signer un armistice, le 11 novembre 1918. En ce même mois de novembre, la révolution ouvrière commença en Allemagne et, n'eût été la criminelle trahison des chefs de la social-démocratie allemande, elle y aurait peut-être aussi vaincu.

Près d'un siècle et un conflit mondial plus tard, la barbarie du capitalisme n'a pas cédé en cruauté, même si à présent la souffrance et la mort des populations sont l'oeuvre de technologies dites modernes. Le dernier quart de siècle en témoigne: les guerres où les entraîne la bourgeoisie sur tous les continents ne trouveront de cesse que dans le renversement de l'absurde et sanglant système capitaliste.

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