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Alstom-Chantiers de l’Atlantique (Saint-Nazaire) : Le Queen-Mary 2 vu par ceux qui l’ont construit
A grand renfort de publicité et de battage médiatique, le Queen-Mary 2 a été livré à son armateur et a quitté Saint-Nazaire. Ce paquebot transatlantique, le plus gros, le plus cher, le plus luxueux jamais construit au monde, restera aussi le plus meurtrier réalisé aux Chantiers de l'Atlantique de Saint-Nazaire.
Pendant 22 mois, ouvriers, techniciens et ingénieurs se sont côtoyés et succédé pour réaliser ce colosse de technologie et de sueur. Le résultat, c'est l'équivalent d'une ville propulsée, capable paraît-il d'affronter les pires conditions possibles au travers des océans, accueillant plus de 3000 passagers avec 1250 personnes à leur service.
Sur une surface flottante équivalante à un hectare s'empilent par niveaux et par ponts tout le nécessaire pour offrir aux passagers pouvant se le permettre les loisirs et le luxe les plus tapageurs.
Des suites à 24000 euros la semaine aux dortoirs de l'équipage, en passant par les chambres de passagers les plus simples (sans fenêtre ni hublot) louées 1400 euros la semaine; des différentes salles de restaurant 3 étoiles (dont une capable d'assurer simultanément le service de plus de 1000 convives) aux cuisines permettant d'assurer cet exploit; des salles de spectacles et casinos (Las Vegas et planétarium embarqués) aux salles des machines; des piscines, golfs, thalasso, bars, boîtes de nuit et boutiques de luxe des ponts supérieurs aux cuves à fuel, à huile et à eau, en passant par le bloc opératoire, la morgue, le service en chambre, le ménage et la lingerie des ponts inférieurs, tout s'empile de bas en haut pour reproduire en mer un reflet soi-disant enchanteur de cette société.
Depuis cinq ans, 14000 salariés dont deux tiers de sous-traitants et intérimaires s'activent dans un chantier-fourmilière pour produire une douzaine de géants des mers dont le fleuron est le Queen-Mary 2. Avec pour objectifs essentiels fixés et atteints par la branche Marine de l'Alstom l'augmentation de la productivité, la baisse des coûts de production de 30% et le respect impératif des délais.
Cela s'est traduit par une dégradation des conditions de travail de tous, par une moyenne de 18000 passages à l'infirmerie par an, des accidents graves, des expositions quotidiennes à des produits dangereux (800 travailleurs criminellement exposés à l'amiante viennent de quitter l'entreprise), deux accidents du travail mortels en 2000 sur d'autres paquebots, et la chute d'une passerelle d'embarquement du Queen-Mary 2 le 15 novembre dernier qui a tué 15 personnes (dont 7 visiteurs) et blessé gravement 32 autres.
Cela s'est traduit aussi par une sous-traitance exacerbée et une mise en concurrence des travailleurs du monde entier pour comprimer les salaires, jusqu'au non-paiement pur et simple (cf. les luttes des travailleurs indiens, grecs, portugais et roumains, LO n° 1807, 1809, 1811, 1830, 1831 et 1832!).
Mais l'important, pour les actionnaires d'Alstom et pour Boissier, PDG des Chantiers, relayés par la mairie «gauche plurielle» de Saint-Nazaire et les politiciens locaux comme nationaux, c'est «l'excellence» de la Navale, c'est-à-dire sa capacité à produire des navires «à forte valeur ajoutée» et dégager des profits plantureux. D'autant plus que, alors même que les aides publiques à la Navale sont officiellement supprimées, c'est encore pas moins de 10% du prix total des navires que l'État subventionne directement, sans compter les financements publics que l'opacité des comptes des entreprises capitalistes ne permet pas de chiffrer. Tout cela sans nécessiter une immobilisation importante de capitaux, puisqu'une grande partie des charges est supportée par la sous-traitance et que le paiement par l'armateur est réalisé au fur et à mesure de l'avancement des travaux. Le retour sur investissements, d'environ 15% sur un navire comme le Queen-Mary 2 vendu 850 millions d'euros, représente un résultat juteux.
La livraison du Queen-Mary 2 constitue donc une bonne occasion de réjouissance pour les patrons qui, malgré un carnet de commandes presque vide, se déclarent confiants dans l'avenir de la construction de navires «à forte valeur ajoutée» à Saint-Nazaire. Pour les travailleurs par contre, cela se solde immédiatement par des centaines de licenciements et fins de contrat, sans perspective de retrouver du travail avant plusieurs mois, et pour ceux qui gardent un emploi par la perspective d'attaques redoublées.
Des centaines de navires-poubelles sillonnent pourtant les mers, au risque de naufrages entraînant leur équipage à la mort et souillant les côtes. Les profits accumulés permettent de maintenir tous les emplois et de produire des navires autrement plus utiles que des transatlantiques luxueux pour une poignée de privilégiés.