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- Lutte ouvrière n°2322
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Égypte : Face à la révolte qui se poursuit, Morsi décrète état d'urgence et couvre-feu
En quelques jours, depuis le 24 janvier, plus de 50 personnes ont été tuées en Égypte, essentiellement du fait de l'extrême brutalité de la police antiémeute. La plus grande partie d'entre elles ont été victimes des affrontements avec les forces de police de Port-Saïd, porte d'accès au canal de Suez. Port-Saïd s'est vu imposer par le président Morsi, pour une période de trente jours, l'état d'urgence et le couvre-feu, de même que d'autres villes ouvrières situées au bord du canal, Ismaïlia et Suez.
Le 25 janvier, jour anniversaire de la manifestation massive qui, en 2011, devait conduire au départ de Moubarak, des manifestations étaient organisées dans plusieurs villes. Les cortèges d'opposants au pouvoir de Morsi et à son parti, couverture politique des Frères musulmans, se sont affrontés aux forces de répression, parfois appuyées par des partisans du président, hommes de main de la confrérie, provoquant la mort de huit personnes et des centaines de blessés. Les manifestants reprochaient à Morsi de tourner le dos à leurs exigences. À Ismaïlia, le siège du parti des Frères musulmans a été incendié.
Le lendemain, au Caire, un tribunal annonçait la condamnation à mort de 21 jeunes supporters du club de football al-Masry, de Port-Saïd. Leur procès s'était ouvert en avril à la suite des violences mortelles qu'avaient subies, le 1er février 2012, les supporters du club cairote al-Ahly après leur défaite à Port-Saïd. À la fin du match, un véritable passage à tabac des supporters cairotes, à l'initiative de voyous d'extrême droite manipulés en sous-main par les partisans locaux de l'ancien régime, avait provoqué la mort de 77 personnes et fait 178 blessés. Le club des supporters cairotes d'al-Ahly -- le club le plus titré d'Égypte -- est connu pour rassembler des jeunes actifs dans les manifestations ayant entraîné le départ de Moubarak : les violences mortelles subies par les Cairotes étaient aux yeux de tous une agression revancharde des suppôts de l'ex-dictateur.
La sentence prononcée au tribunal du Caire a logiquement satisfait les familles des supporters d'al-Ahly tués un an plus tôt au stade de Port-Saïd. Les magistrats, dont beaucoup avaient montré leur opposition à Morsi il y a quelques mois lors de son coup de force pré-electoral, ont sans doute voulu faire une concession au camp des opposants à Moubarak devenus opposants à Morsi. Mais, en sens contraire, les juges ont suscité la colère à Port-Saïd, des familles de condamnés attaquant la prison dans des manifestations qui ont entraîné la mort de 24 personnes.
La décision de décréter l'état d'urgence, loin de calmer les manifestants, a étendu la colère aux autres villes bordant le canal de Suez. Le 28 janvier dans la soirée, bravant le couvre-feu, des milliers de manifestants ont défilé dans ces villes, conspuant Morsi et les Frères musulmans. D'autres manifestations devaient y être organisées plusieurs jours d'affilée, protestant en particulier contre l'état d'urgence.
Morsi et ses partisans voudraient peut-être faire baisser la tension, alors que des élections législatives sont programmées en avril. C'est ainsi qu'il a mollement proposé aux dirigeants des partis de l'opposition une rencontre censée enrayer le « chaos », que ceux-ci ont immédiatement repoussée.
Mais si chaos il y a dans les villes d'Égypte, c'est d'abord parce que les aspirations de tous ceux qui, après le départ de Moubarak, ont souhaité pouvoir accéder à un peu plus de pain, de liberté et de justice sociale, sont toujours insatisfaites. Dans les quartiers populaires, dans les villes ouvrières, la population toujours réduite aux salaires misérables, à l'accumulation de petits boulots, à toutes sortes de stratégies de survie, en rend maintenant responsables le nouveau pouvoir et les Frères musulmans. C'est aussi parce que, de plus en plus, leurs mouvements de protestation se heurtent aux balles de la police et de l'armée, quand ce n'est pas à des bandes de voyous inspirés par le pouvoir.
Rien d'étonnant à ce que, au sein de la jeunesse, beaucoup continuent de refuser cette nouvelle dictature, appuyée sur l'armée tout comme l'était celle de Moubarak.